La lancinante question du traitement fiscal des plus-value en report constatée avant 2013 et devenant imposable ensuite pourrait connaître très prochainement une évolution favorable pour les contribuables concernés. En effet, le rapporteur public a proposé au Conseil d’Etat, saisi par nos soins d’un nouveau recours pour excès de pouvoir contre la doctrine administrative, de transmettre à la CJUE une Question Préjudicielle.

 

Nos affaires en cours devant le Conseil d’Etat pourraient très prochainement raviver l’espoir des contribuables ayant la malchance de détenir des titres de sociétés issus d’une opération d’échange placée sous un régime de report d’imposition.

A titre de bref résumé d’épisodes précédemment relatés tout au long de l’existence de ce blog, on rappellera que le problème rencontré par ces contribuables s’est manifesté lors de la réforme de la taxation des revenus du capital intervenue au début du quinquennat précédent, qui prévoyait l’imposition des plus-values au barème progressif de l’impôt sur le revenu (au taux marginal de 45 %), en lieu et place du taux forfaitaire de 24 % qui s’appliquait encore en 2012.

Les détenteurs de titres porteurs d’une plus-value en report d’imposition constatée avant le 1erjanvier 2013 ont en effet eu la mauvaise surprise de découvrir que la vente de leurs titres réalisée à compter de cette date entrainerait la taxation de leur plus-value en report au barème progressif, sans que cette taxation soit pour autant atténuée par les abattements pour durée de détention qui avaient pourtant été institués pour en limiter les effets.

L’administration fiscale considère en effet que les abattements relèvent de l’assiette (et non du taux d’imposition) des plus-values et qu’ils ne peuvent donc pas venir modifier rétroactivement le montant d’une plus-value constatée à une date où ils n’étaient pas encore en vigueur.

Les différents recours contentieux engagés par les contribuables ont malheureusement conduit le Conseil d’Etat à confirmer la conformité de cette position à la loi (arrêt n° 390265 du 12 novembre 2015), tandis que le Conseil Constitutionnel a formulé, s’agissant de la conformité de la loi à la Constitution, des réserves d’interprétation (décision n° 2016-538 QPC du 22 avril 2016) l’ayant conduit à distinguer les reports d’imposition obligatoires des reports d’imposition facultatifs.

S’agissant des reports d’imposition obligatoires (ce qui vise essentiellement les plus-values constatées à l’occasion d’une opération d’apport de titres à une société contrôlée par l’apporteur réalisée à compter du 14 novembre 2012, date d’entrée en vigueur de l’article 150-0 B ter du CGI), le Conseil Constitutionnel a considéré que l’application de règles d’assiette et de taux autres que celles applicables lors de l’opération d’apport pouvait être attentatoire aux situations légalement acquises.

L’expiration d’une plus-value en report consécutive à la cession de titres issus d’un apport placé sous l’égide de l’article 150-0 B ter entraîne donc désormais la taxation de cette plus-value selon les règles applicables, non plus au jour de la cession, mais au jour de l’apport, à savoir :

  • un taux forfaitaire de 24 % – ou 19 % sous certaines conditions – pour les apports réalisés fin 2012,
  • le taux moyen résultant de la combinaison du barème progressif et des abattements pour les apports réalisés entre 2013 et 2017,
  • le prélèvement forfaitaire unique (ou « flat tax ») à 12,8 % pour les apports réalisés en 2018.

S’agissant des reports d’imposition facultatifs (ce qui vise essentiellement les plus-values constatées avant le 1erjanvier 2000, sous l’empire de régimes anciens), le Conseil Constitutionnel a uniquement octroyé aux contribuables le droit de rectifier, par l’application d’un coefficient d’érosion monétaire, le montant imposable de leur plus-value soumise au barème progressif.

L’Etat du droit résultant de la décision du Conseil Constitutionnel reste ainsi très insatisfaisant pour les contribuables.

En effet, si les détenteurs de titres grevés d’une plus-value en report d’imposition obligatoire peuvent être rassurés par l’absence d’aggravation des modalités de taxation future de leur plus-value, ils peuvent en revanche regretter d’être symétriquement privés de toute amélioration du régime de taxation des plus-values intervenant entre la date de leur apport et celle de la cession entraînant l’expiration du report d’imposition.

Pour s’en convaincre, il suffit de prendre l’exemple d’un contribuable ayant procédé à un apport 150‑0 B ter à la fin de l’année 2012 et qui procèderait en 2018 à la cession des titres obtenus en contrepartie. La plus-value d’échange sera alors taxée au taux historique de 24 %, alors que le taux « flat tax » de 12,8 % aurait été applicable, en l’absence de toute opération d’apport intermédiaire, à la vente des titres initiaux si elle avait été directement opérée en 2018.

Les détenteurs de titres issus d’opérations d’apport réalisées avant le 1erjanvier 2000 ont quant à eux été redevables, sur les cessions réalisées entre 2013 et 2017, d’une imposition progressive très faiblement atténuée par l’application du coefficient d’érosion monétaire, beaucoup moins avantageux que les abattements pour durée de détention qui se seraient appliqués en l’absence d’opération d’apport intermédiaire.

Nos clients sont donc repartis à l’attaque sur le terrain du respect du droit de l’Union Européenne, en critiquant la législation nationale française qui aboutit à ce que leur opération d’apport entraîne une fiscalité plus lourde que celle qui se serait appliquée en son absence.

En effet, la Directive 90/434/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 (concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d’actifs et échanges d’actions intéressant des sociétés d’États membres différents) prévoit, dans son article 8, un principe de non taxation des opérations d’échanges de titres, en ménageant toutefois la possibilité pour l’Etat membre… « d’imposer le profit résultant de la cession ultérieure des titres reçus de la même manièreque le profit qui résulte de la cession des titres existant avant l’acquisition ».

Cette formulation suggère bien que la plus-value réalisée à l’occasion de la cession des titres reçus lors d’un échange doit donner lieu à la taxation d’un gain unique, soumis à un régime fiscal unique qui doit être celui auquel auraient été soumis les titres échangés s’ils n’avaient pas fait l’objet d’un échange.

Or, lors de l’audience du 1eroctobre 2018, le rapporteur public s’est montré favorable au nouveau recours introduit par nos clients et a préconisé le renvoi d’une question préjudicielle à la Cour de Justice de l’Union Européenne pour clarifier ce point.

Si le Conseil d’Etat suit les conclusions de son rapporteur, il devrait donc rendre très prochainement une décision de renvoi à la CJUE, qu’il nous appartiendra alors de convaincre du bien fondé de notre position tenant à ce que le principe de neutralité fiscale des fusions résultant de la Directive ne devrait pas permettre aux règles fiscales internes des Etats membres d’attacher à l’existence d’une opération d’apport une fiscalité plus lourde que celle qui se serait appliquée en son absence.

Une réponse favorable de la CJUE ne règlerait pas l’ensemble des situations puisque son interprétation ne concernerait stricto sensuque les opérations entrant dans le champ d’application de la directive, à savoir les fusions transfrontalières.

Toutefois, la solution de la CJUE pourrait par la suite être étendue à l’ensemble des opérations d’apport ayant donné lieu à un report d’imposition (qu’il s’agisse de fusions ou non et peu important leur caractère transfrontalier ou purement national) si nous parvenions dans un deuxième temps à convaincre le Conseil Constitutionnel qu’un traitement fiscal plus favorable de certaines opérations d’apport (celles se situant dans le champ d’application de la directive) au détriment des autres opérations est constitutif d’une discrimination par ricochet contraire au principe d’égalité devant les charges publiques.

Dans l’immédiat, la décision du Conseil d’Etat que nous attendons avec impatience dans les prochains jours sous le n° 423118 aura le mérite de confirmer aux contribuables concernés que l’espoir est encore permis. Et de rappeler à ceux qui n’auraient pas introduit de réclamation pour préserver leurs droits qu’ils pourraient bien le regretter !