On sait que par une décision de Section Hasbro European Trading du 13 mars 2020 (n° 435634), le Conseil d’Etat est revenu sur sa jurisprudence traditionnelle qui permettait d’attaquer les instructions fiscales publiées au BOFiP sans limitation de délai. Fort heureusement, le Conseil a décidé de différer l’application de sa décision, qui aurait autrement été rétroactive, à l’expiration d’un délai de deux mois. Ce délai ayant lui-même été prorogé jusqu’au 23 août par l’Ordonnance COVID-19, nous avons pu le mettre à profit pour envoyer au Conseil d’Etat une dernière salve de recours pour excès de pouvoir (REP) que cet article a pour objet de détailler.


A titre préliminaire toutefois, nous avons eu la surprise de constater que l’administration contestait la recevabilité de nos requêtes au motif que le délai de deux mois octroyé par la décision Hasbro étant purement prétorien, la prorogation prévue par l’Ordonnance ne lui serait pas applicable.


Cette position nous semble toutefois contestable car elle résulte d’une analyse purement littérale de l’Ordonnance contraire avec l’objectif qu’elle poursuit. La garde des sceaux a présenté l’ordonnance relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période… « afin de préserver les droits de tous, et de s’adapter aux contraintes du confinement et des plans de continuation d’activité des administrations » (Secrétariat général du Gouvernement, « Conseil des ministres du 25 mars 2020. Ordonnances pour faire face à l’épidémie de Covid-19 », Discours prononcé le 25 mars 2020, https://www.vie-publique.fr/discours/273981-conseil-des-ministres-du-25-mars-2020-ordonnances-covid-19). L’objectif de ces mesures exceptionnelles était de protéger le droit au recours des justiciables qui se trouvait nécessairement impacté par la crise sanitaire.


Ainsi, Céline Guibé, Maitre des requêtes au Conseil d’Etat, estime que « ce délai a normalement vocation à être reporté compte tenu de l’état d’urgence sanitaire proclamé par la loi du 22 mars 2020 » (« Délai de recours contre les instructions fiscales : la fin d’une exception ? », RJF 5/20 – Mai – Doctrine).
De plus, ainsi que l’a précisé le rapporteur public Karin Ciavaldini dans ses conclusions concernant la décision Sté Hasbro European Trading susvisé… « Vous distinguez les règles de forme dans lesquelles le recours doit être exercé, qui sont d’application immédiate, de celles qui sont des éléments constitutifs du droit au recours. Dans la seconde catégorie, on trouve les règles relatives aux voies selon lesquelles le recours peut être exercé, ainsi que les délais impartis à cet effet (CE sect. 13-11-1959 nos 38805 et 39949 bis ; CE 9-7-2010 no 33908). Nous proposons donc de n’appliquer la règle nouvelle qu’aux requêtes enregistrées plus de deux mois après la date de lecture de votre décision ». Le délai de deux mois courant à compter de la décision répond donc également à l’objectif de préservation du droit au recours des justiciables. L’exclure du bénéfice de la prorogation serait méconnaitre sa raison d’être.


Nous espérons bien avoir convaincu le Conseil d’Etat du bien-fondé de notre position mais le doute ne sera définitivement levé que lorsqu’il rendra sa première décision sur un REP déposé après le 12 mai 2020.
S’agissant de nos recours déposés, nous ne reviendrons pas sur celui visant à faire annuler l’instruction qui refuse de prendre en compte l’impôt sur le revenu avant imputation du Crédit d’Impôt pour la Modernisation du Recouvrement pour le calcul du plafonnement de l’Impôt sur la Fortune Immobilière 2019 : https://blog.bornhauser-avocats.fr/index.php/2020/06/04/plafonnement-de-lifi-2019-le-recours-pour-exces-de-pouvoir-est-depose/

Nous nous posions en mai 2018 la question de savoir si nous allions contester la fiscalité de l’assurance-vie et des successions (https://blog.bornhauser-avocats.fr/index.php/2018/05/07/allons-nous-contester-la-fiscalite-de-lassurance-vie-et-des-successions/). C’est désormais chose faite puisque nous avons déposé un REP assorti d’une QPC pour contester la constitutionnalité des prélèvements sociaux sur les contrats d’assurance-vie en unités de compte se dénouant par décès.


Nous avons également contesté la doctrine administrative qui considère que les contribuables qui vendent des objets d’art ou de collection ou des métaux précieux situés hors de l’Union Européenne ne peuvent pas soumettre la cession à la taxe forfaitaire de 6,5 % (ou 11,5 % pour les métaux précieux), mais se trouvent contraints d’acquitter l’impôt sur la plus-value au taux de 36,2 %. Certes, ils peuvent théoriquement bénéficier d’un prix de revient fiscal et d’abattements pour durée de détention mais les preuves de la date d’acquisition du bien et/ou de son prix de revient sont parfois difficiles à rapporter, ce qui se traduit par une fiscalité bien supérieure à celle qui résulterait de l’application de la taxe forfaitaire sur le prix de vente.


Nous invoquons plusieurs arguments, mais le plus solide nous semble être la contrariété de la règle française avec la liberté communautaire de circulation des capitaux. Nous verrons rapidement comment il sera accueilli par le Conseil d’Etat car grâce à une opportune QPC adjointe à notre REP, l’affaire sera entendue le 16 septembre à 14h.
Nous avons enfin déposé de nouveaux REP/QPC contre l’absence d’abattements pour durée de détention pour les plus-values mobilières en report d’imposition, en invoquant l’article 14 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et l’article 1er du Premier Protocole additionnel, dont la combinaison nous paraît interdire toutes les discriminions, y compris celles par ricochet, ceci quel que soit l’objet de la loi concerné.


Nous en avons profité pour invoquer à nouveau l’article 20 de la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne en nous fondant sur une décision très récente (CJUE, 1ère ch, 11 juin 2020, aff. C-634/18, Prokuratura Rejonowa w Slupsku) par laquelle la Cour de Justice semble admettre pour la première fois clairement que les stipulations de la Charte sont applicables aux situations internes lorsque la loi de transposition s’applique uniformément aux situations transfrontalières et aux situations internes. Dans cette affaire était en jeu la décision-cadre 2004/757 du 25 octobre 2004 concernant l’établissement des dispositions minimales relatives aux éléments constitutifs des infractions pénales et des sanctions applicables dans le domaine du trafic de drogue. L’article 2, paragraphe 2 de ladite décision-cadre exclut de son champ d’application les situations de consommation de drogue pour un usage personnel : « ne sont pas inclus dans le champ d’application de la présente décision-cadre lorsque leurs auteurs s’y livrent exclusivement à des fins de consommation personnelle ». Or, la loi polonaise concernant la lutte contre la toxicomanie n’opérait aucune distinction d’aucune sorte entre la détention pour un usage personnel et la détention à des fins de trafic. Le législateur national réprimait les deux cas de figure exactement de la même manière. La question qui se posait était celle de savoir si le principe d’égalité et le principe de légalité des délits et des peines s’opposaient à ce qu’un État membre prévoie des sanctions pénales aggravées pour le délit de détention d’une « quantité importante de produits stupéfiants et de substances psychotropes », tout en laissant l’interprétation de cette notion à l’appréciation des juridictions nationales. La Cour décide que… « Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que l’article 4, paragraphe 2, sous a), de la décision-cadre 2004/757, lu en combinaison avec l’article 2, paragraphe 1, sous c), de celle-ci, ainsi que les articles 20, 21 et 49 de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce qu’un État membre qualifie d’infraction pénale la détention d’une quantité importante de produits stupéfiants ou de substances psychotropes tant à des fins de consommation personnelle qu’à des fins de trafic de drogue, tout en laissant l’interprétation de la notion de « quantité importante de produits stupéfiants ou de substances psychotropes » à l’appréciation des juridictions nationales, au cas par cas, pour autant que cette interprétation soit raisonnablement prévisible. ». La CJUE se prononce ainsi sur la compatibilité de la législation nationale au regard de la Charte non seulement pour les situations situées dans le champ d’application de la décision-cadre (trafic de drogue), mais aussi pour celles qui n’étaient pas dans son champ d’application (consommation personnelle) mais que le législateur polonais a choisi de traiter de manière identique.


Il n’y a donc aucune raison que l’article 20 de la Charte des Droits Fondamentaux prohibant les discriminations ne soit pas applicable aux situations purement internes lorsque le législateur national a décidé d’étendre les dispositions de la Directive aux situations placées hors de son champ d’application.


Nous espérons que cette décision permettra au Conseil d’Etat de revoir sa copie ou, à tout le moins, de poser une question préjudicielle à la CJUE ou à la CEDH. En cas de refus, nous pourrons enfin déposer notre plainte auprès de la Commission et saisir la CEDH de la question.


Grâce à l’état d’urgence sanitaire et au confinement, nous avons eu un printemps et un été chargés…