Il y a quelques semaines, nous vous avions entretenus sur notre blog (http://blog.bornhauser-avocats.fr/index.php/2015/06/07/territorialite-des-plus-values-en-report-les-libertes-communautaire-au-secours-du-contribuable/) de l’ouverture intéressante fait par la 1ère chambre de Cour Administrative d’Appel de Versailles quant à la possibilité pour un non-résident communautaire devenant taxable sur des plus-values en report d’imposition devenant imposables d’imputer dessus les moins-values réalisées lors de la cession des titres grevés de la plus-value en report.
La question semble toutefois moins tranchée que nous l’avions cru puisque nous avons depuis eu connaissance d’une autre décision rendue par la 3ème chambre de la même Cour le 9 juin 2015 (13VE01964, mais que vous ne trouverez bizarrement pas sur Legifrance) qui, saisie exactement de la même question mais confrontée à un contribuable qui avait, lui, transféré son domicile en Belgique pour des raisons professionnelles, a jugé que… « à supposer que la circonstance que l’intéressé (…) ne puisse (…) imputer sur cette imposition des pertes réalisées en sa qualité de résident belge caractérise une restriction à la liberté d’établissement en méconnaissance des stipulations précités, une telle restriction est justifiée par la nécessité de préserver la répartition du pouvoir d’imposition entre les États membres et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif dès lors qu’il n’incombe pas à l’Etat de réalisation de la plus-value d’échange de neutraliser des pertes subies dans un autre État membre, y compris à raison de la cession des titres reçus en échange ».
En utilisant le verbe caractériser au présent et non au conditionnel, la Cour acte de la pertinence de l’argument : si les libertés communautaires (d’établissement ou de circulation des travailleurs) sont applicables, alors il y a bien restriction.
Toutefois, on sait qu’une restriction aux libertés peut néanmoins être justifiée lorsque elle entre en conflit avec d’autres principes et que l’atteinte est proportionnée à l’objectif. C’est ce que relève la 3ème chambre de la Cour en faisant valoir la nécessité de préserver la répartition du pouvoir d’imposition entre les États et la proportionnalité de l’atteinte à cet objectif.
Il est vrai qu’en Belgique les plus-values de l’espèce ne sont pas taxables et que cette circonstance ne milite guère en faveur du français qui s’y expatrie. Cela dit, si les plus-values avaient été taxables en Belgique, l’intéressé aurait été placé exactement dans la même situation : pas d’impôt en Belgique du fait d’une moins-value et taxation en France de la plus-value en report. Nous avons donc pour notre part du mal à comprendre en quoi la préservation de la répartition du pouvoir d’imposition entre États justifierait une telle discrimination.
Cela dit, la 3ème chambre s’est peut-être sentie encouragée par la décision « Sté Agapes » rendue par le Conseil d’Etat le 15 avril 2015 (n° 368135), qui a fortement limité les espérances que l’arrêt Mark & Spencer (CJUE 11 juillet 2002, aff. 62/00) avait fait naître en matière d’imputations des déficits des filiales étrangères sur les bénéfices de la société mère, au motif précisément que… « il n’incombe pas à l’Etat de résidence de la société mère d’assurer la neutralisation de la charge fiscale que la société filiale supporte ou supportera du fait de la décision de l’Etat membre où elle réside elle-même, au titre de l’exercice de sa compétence fiscale, de limiter le droit d’imputer les pertes subies ».
Force est toutefois de constater qu’en la matière, la France ne subirait pas les conséquences d’une décision de la Belgique de limiter le droit à imputation des moins-values puisque cette question ne se pose pas dans cet État. Ce que le contribuable demande à la France, c’est de ne pas le traiter moins bien que s’il était resté résident français, ce qui est tout autre chose et qui relève non d’une répartition équilibré du droit d’imposer entre les deux États membres, mais de la seule cohérence (ou non) du système fiscal français.
En tout état de cause, la divergence d’appréciation du même principe par deux chambres de la même Cour illustre bien l’incertitude de la solution à donner à cette délicate question, qui ne verra sa résolution intervenir que devant le Conseil d’Etat, après éventuellement réponse de la CJUE saisie par ses soins d’une question préjudicielle.