Nous relations dans notre actualité du 11 février la transmission d’une QPC relative à la constitutionnalité des textes instituant les abattements pour durée de détention sur les plus-values en ce qu’ils interdisent leur application aux plus-values en report d’imposition constatées avant le 1er janvier 2013, alors même que l’expiration du report d’imposition postérieure à cette date entraînerait leur taxation au barème progressif de l’impôt sur le revenu. Le Conseil Constitutionnel doit ainsi se prononcer dans les trois mois sur la constitutionnalité des dispositions en cause.

La décision du Conseil Constitutionnel sera unique et définitive quelle qu’en soit le sens, puisque si le Conseil se prononce en faveur des contribuables, une QPC ultérieure n’aura pas d’objet, de même que s’il se prononce dans un sens défavorable, le texte légal aura été déclaré conforme à la Constitution et une demande de QPC ultérieure ne pourra qu’être écartée au regard des conditions de recevabilité résultant des dispositions de la loi organique du 10 décembre 2009 relative à cette procédure.

Dans ces conditions, il était légitime que le règlement intérieur du Conseil constitutionnel confirme la possibilité, pour toute personne justifiant d’un intérêt spécial, d’intervenir dans une instance pour présenter ses propres observations sur la QPC soumise à l’appréciation du Conseil.

Nous avons fait usage de cette faculté et le Conseil Constitutionnel vient ainsi de nous confirmer l’admission des interventions de deux de nos clients dans l’instance en cours, ce dont nous nous félicitons au regard de leur légitimité particulière à faire entendre leur cause.

L’un d’entre eux, qui a réalisé à la fin de l’année 2012 une plus-value soumise au report d’imposition prévu par l’article 150-0 B ter du Code général des impôts, n’est en effet autre que le client pour lequel nous avions déposé, comme relaté dans notre actualité du 29 janvier 2016, un recours pour excès de pouvoir assorti d’une demande de QPC. Le Conseil d’Etat n’a pas encore examiné cette demande et un tel examen se heurterait désormais au fait qu’une QPC identique soit déjà en cours d’examen par le Conseil Constitutionnel…

L’autre client concerné, qui détient des titres issus d’un apport réalisé en 1998 lorsque le report d’imposition était le régime de droit commun, n’est autre que le requérant dont la transmission de la QPC avait été refusée par le Conseil d’Etat dans l’arrêt n° 390265 rendue le 12 novembre 2015, avant que celui-ci ne se ravise finalement dans l’arrêt du 10 février 2016 ayant donné lieu à l’instance en cours.

Interviennent également à l’instance nos confrères Eve Obadia et Louis-Marie Bourgeois, qui ont obtenu du Conseil Constitutionnel la décision n° 2015-515 QPC sur les compléments de prix qui est à la base de notre argumentation et qui ont également déposé le 10 février 2016 un recours pour excès de pouvoir avec demande de QPC identiques aux nôtres.

Nous laissons évidemment en premier lieu le soin à nos confrères Delphine Dillemann et Stéphane Buffa du Cabinet Lamartine, qui représentent le Requérant principal à l’instance, de développer l’argumentaire propre à leur client et particulièrement celui tiré d’une violation de la garantie des droits, qui a remporté l’adhésion du Conseil d’Etat.

Pour notre part, nous réitérerons les argumentaires de nos deux propres clients, tirés d’une violation du principe d’égalité.

Une telle violation nous semble avérée et résulte à la fois : 

  • du caractère exorbitant de l’imposition des plus-values au barème progressif sans application d’abattements, qui se devinait déjà dans la décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012 du Conseil Constitutionnel et que celui-ci a explicitement confirmé dans sa décision n° 2015-515 QPC du 14 janvier 2016 relative aux compléments de prix.
  • de la différence de traitement que subissent nos clients par rapport à des contribuables qui auraient effectué des opérations d’apport soumises au régime du sursis d’imposition (puisque l’application des abattements s’appréciera pour eux lors de la cession des titres issus de l’échange, date à laquelle la plus-value sera calculée) ou même par rapport à ceux qui ont effectué des opérations soumises au report d’imposition après le 1er janvier 2013 (puisque les abattements, indiscutablement en vigueur, peuvent donc s’appliquer à la plus-value calculée à la date de l’apport).

L’intervention devant le Conseil Constitutionnel sera pour nous une bonne occasion de revenir sur les limites des motifs qui avaient été invoqués par Conseil d’Etat pour écarter cette seconde branche de notre argumentaire dans la décision n° 390265 du 12 novembre 2015. Celui-ci avait en effet estimé que la différence de traitement invoquée résultait uniquement de la succession de deux régimes juridiques dans le temps et ne méconnaissait pas, par elle-même, le principe d’égalité.

Or, il nous semble qu’en se prononçant de la sorte, le Conseil d’Etat, en reprenant un considérant de principe déjà présent dans au moins deux décisions antérieures du Conseil Constitutionnel, a pu toutefois en dévoyer quelque peu le sens initial : la décision n° 2012-654 DC visait le cas d’une différence de traitement fiscal et social entre salariés selon la date de réalisation des heures supplémentaires ou complémentaires, tandis que la décision n° 2011-150 QPC concernait une différence de traitement selon la date de réalisation des opérations de visite ou de saisie. Dans les deux cas, un évènement unique et « autosuffisant » permettait de distinguer quelles opérations pouvaient bénéficier du nouveau régime et quelles opérations ne le pouvaient pas, de sorte que la différence de traitement allait de pair avec l’écoulement du temps qui pouvait la justifier.

Tel n’est toutefois pas le cas du problème de la taxation des plus-values en report d’imposition antérieures à 2013 ne bénéficiant pas des abattements, car cette taxation peut parfaitement être concomitante avec la taxation de plus-values en report qui peuvent en bénéficier (car postérieures à 2013) ou encore avec la taxation de plus-values calculées dans le cadre du régime du sursis, qui peuvent bénéficier des abattements quelle que soit la date de l’apport.

Cela signifie en pratique que deux contribuables peuvent parfaitement avoir acquis des titres en même temps, en avoir fait l’apport à des dates séparées (l’un avant et l’autre après le 1er janvier 2013 par exemple) mais céder les titres issus de l’échange à la même date. Dans les deux cas, la durée de l’investissement global aura été la même et les dates de début et de fin de cet investissement auront été strictement identiques. L’impôt sera enfin réclamé aux deux contribuables au même moment.

Dans ces conditions, il nous semble très hasardeux de justifier la différence d’impôt par l’écoulement du temps en considérant que… « la succession de deux régimes juridiques dans le temps » serait exclusive d’une rupture du principe d’égalité.

Nous espérons donc que le Conseil Constitutionnel sera sensible à nos arguments, de même que nous souhaitons évidemment le même succès aux arguments de nos confrères, les uns et les autres ne se contredisant aucunement.