Le Gouvernement vient enfin de communiquer le texte de l’avant-projet de loi visant à introduire, lors de la prochaine loi de finances, le Prélèvement à La Source (PLS) au lieu et place de notre système de règlement de l’impôt l’année suivant la perception des revenus.

On sait que cet projet a été soumis au Conseil d’Etat pour avis et que suite aux observations faites par ce dernier, plusieurs modifications ont été introduites. Toutefois, l’avis du Conseil d’Etat n’étant pas public, on ignore si toutes ses critiques ont été prises en compte.

Or, l’examen de l’avant-projet pourrait nous en faire douter.

Le système est construit autour du concept selon lequel l’impôt doit dorénavant être acquitté en même temps que les revenus qui l’engendrent. C’est effectivement fort louable et nous rejoignons bien évidemment l’exposé des motifs du projet de loi quand il affirme qu’il permettra d’assurer un meilleur consentement à l’impôt.

Cela dit, deux dispositions suscitent nos interrogations, voire notre inquiétude.

La première concerne les contribuables qui optimisent traditionnellement leur fiscalité personnelle en recourant à des déductions fiscales autorisés, voire encouragées par le législateur : produits de défiscalisation, mais également pensions alimentaires déductibles, travaux bénéficiant d’un crédit d’impôt, dons à des œuvres caritatives, etc.

Actuellement, ces derniers décident, généralement en fin d’année lorsque les débats budgétaires sont suffisamment avancés pour leur permettre d’estimer le montant de l’impôt sur le revenu qu’ils auront à acquitter l’année suivante, d’investir, de dépenser ou de donner un certain montant de leurs revenus qui réduira une fraction de leur cotisation.

Avec le PLS, leur employeur va leur prélever un montant forfaitaire sur les salaires qu’il leur verse (un système similaire s’appliquera aux autres types de revenus) qui sera déterminé par application d’un taux communiqué par l’administration. Différentes options sont possibles pour préserver le secret du montant de la rémunération du conjoint. Mais hormis le cas où les revenus baissent, le contribuable n’est pas autorisé, sauf à encourir l’application de sanctions, à demander la réduction de son PLS pour tenir compte de ses charges déductibles ou des réductions ou crédits d’impôt dont il bénéficiera in fine. La seule exception prévue – et heureusement – concerne les crédits d’impôt prévus par les conventions internationales préventives de double imposition.

En d’autres termes, le contribuable fera l’avance au Trésor de l’impôt afférent aux déductions fiscales, réductions et crédits d’impôt et n’en obtiendra le remboursement que l’année suivante. Donc pour le PLS précompté en janvier, vingt mois plus tard…

Outre le fait que l’argent ainsi avancé au Trésor ne pourra plus être utilisé pour financer les dépenses encouragées par le législateur, ce qui apparaît en soi déjà contreproductif, il n’est pas certain que cette obligation soit légitime au regard de nos principes constitutionnels. Plus précisément, nous nous interrogeons sur la conformité au principe de nécessité des peines de la pénalité pour insuffisance de PLS qui serait infligée au contribuable qui se serait fait en quelque sorte justice à lui-même.

Et comme tous ne pourront le faire, puisque obtenir une telle réduction suppose que le contribuable contrôle le tiers payeur (cas du dirigeant d’une entreprise qu’il contrôle) ou fixe lui-même son PLS (cas des indépendants ou titulaires de revenus fonciers), il y aurait par ricochet une rupture d’égalité devant les charges publiques entre les différentes catégories de contribuables.

La seconde interrogation concerne l’année de transition – la fameuse année blanche – et les nécessaires mesures anti-abus. Nécessaires car il est important que ceux qui peuvent arbitrer plus facilement le niveau de leurs revenus ne soient pas avantagés par rapport à ceux qui, comme les retraités, ne le peuvent pas. Le texte prévoit donc diverses mesures techniques qui ne nous arrêteront pas.

Ce qui retiendra en revanche notre attention, c’est qu’en plus de toutes ces mesures, le texte organise une procédure de demande de justifications qui se termine par la règle suivante : « Si la réponse (à la demande de justification ou de compléments) fait apparaître que le contribuable a procédé à des opérations qui ont eu principalement pour objet et pour effet d’augmenter le montant du crédit d’impôt (égal à l’impôt sur les revenus de l’année blanche), l’administration peut remettre en cause le montant de ces crédits d’impôt selon les procédures prévues aux articles L 55 et suivants du Livre des Procédures Fiscales ».

Ce texte nous plonge dans un abîme de perplexité. Nous connaissons un principe qui permet à l’administration de remettre en cause des opérations abusives : c’est l’abus de droit de l’article L 64 du LPF. Mais pour cela, l’opération doit être soit fictive, soit avoir pour unique objet de rechercher un avantage fiscal en appliquant la lettre du texte contrairement à l’intention du législateur.

Or, sans exclure non plus cette hypothèse, cet article semble permettre à l’administration de remettre en cause le crédit d’impôt si elle considère que les opérations réalisées par le contribuable ont eu « principalement » pour objet et pour effet d’augmenter son crédit d’impôt. Cette remise en cause s’opérera alors dans le cadre de la procédure de redressement de droit commun sans possibilité de saisir de Comité Consultatif de l’Abus de Droit Fiscal, le redressement pouvant (et en pratique étant) néanmoins être assorti des majorations pour manquement délibéré.

Cette règle introduit dans notre droit une dose parfaitement regrettable de subjectivité. On retrouve la même problématique que sur la clause anti-abus de la nouvelle Directive « Distributions » dont nous nous sommes déjà fait l’écho ici (http://blog.bornhauser-avocats.fr/index.php/2016/06/24/la-nouvelle-clause-anti-abus-de-larticle-119-ter-3-du-cgi-condamne-t-elle-la-holding-patrimoniale-passive/).

Toutefois, alors que le Conseil Constitutionnel a validé la nouvelle rédaction de l’article 119 ter 3 du CGI dans la mesure où, étant un texte d’assiette, l’abus n’était pas sanctionné par une lourde pénalité (C. const., déc. 29 déc. 2015, n° 2015-726DC, Loi de finances rectificative pour 2015, consid. 2 à 14), l’hypothèse est ici bien  différente dès lors qu’on peut difficilement considérer que ce texte institue une règle d’assiette. Il sera  donc intéressant de voir si notre juge constitutionnel poursuivra sur sa lancée et validera le texte ou s’il reviendra à ses fondamentaux (Cons. const., déc. 29 déc. 2013, n° 2013- 685DC, Loi de finances pour 2014) en le sanctionnant.

Nul doute que le débat parlementaire se focalisera sur cette dernière question question, dont la réponse nous sera très probablement donnée par le Conseil Constitutionnel avant la fin de l’année.