L’article 123 bis du CGI est un texte anti-abus bien connu des fiscalistes mais dont l’administration fiscale ne semble avoir découvert l’existence que récemment, à l’occasion de la campagne de régularisation des comptes étrangers non déclarés. Et dont elle a fait un large usage pour taxer plus lourdement les contribuables désireux de se mettre en règle qui avaient eu le malheur d’écouter les « bons » conseils de leur banquier suisse, qui leur avait constitué des sociétés offshore (au Panama ou ailleurs) pour gérer leur compte bancaire non déclaré.

En effet, si les raisons de procéder de la sorte avaient à l’époque leur justification, puisqu’il s’agissait d’éviter l’application de la retenue à la source « Directive Épargne » aux intérêts perçus sur le compte suisse, les conséquences fiscales d’une régularisation du compte a posterioris’avéraient redoutables : au lieu d’être taxé sur les revenus et plus-values réellement réalisées, le contribuable subissait une taxation forfaitaire en fonction d’un taux d’intérêt calé sur le rendement des obligations d’Etat majoré de 25 % au titre des années où aucun échange de renseignements entre la France et la Suisse n’était possible, soit jusqu’au 31 décembre 2009.

Or, la gestion des banquiers suisses étant le plus souvent très conservatrice, le taux forfaitaire s’avérait la plupart du temps moins favorable que la taxation réelle des produits.

Et si l’article 123 bis contenait une clause de sauvegarde destinée à préserver de la taxation forfaitaire les structures localisées dans un Etat-membre de l’Union Européenne (en gros, les sociétés holdings luxembourgeoises relevant de la loi de 1929, sauf si elles étaient dépourvues de substance au sens de la jurisprudence Halifax et Caldbury-Schweppes de la CJUE) pour des raisons tenant à la liberté communautaire d’établissement, les sociétés établies dans un Etat-tiers comme le Panama ne pouvaient pas en bénéficier.

C’est cette taxation forfaitaire et le champ d’application de la dérogation que les contribuables ont décidé de contester. Ils ont pour cela emprunté l’autoroute bien connue du couple infernal (pour les finances publiques) du recours pour excès de pouvoir jumelé à une question prioritaire de constitutionnalité. Ils ont tout simplement attaqué la Foire Aux Questions mise en ligne par l’administration fiscale pour aider les contribuables repentant à déposer auprès du STDR des déclarations rectificatives conformes à la Circulaire « Cazeneuve ».

Et bien leur en a pris : par une décision n° 2016-614 QPC du 1er mars 2017, ils ont fait carton plein. Le Conseil Constitutionnel a décidé que la restriction de la clause de sauvegarde aux seuls Etats de l’Union Européenne violait le principe d’égalité devant les charges publiques, comme le faisait la taxation forfaitaire en empêchant les contribuables de se prévaloir de leur situation réelle. Le Conseil ayant décidé qu’il n’y avait pas lieu de limiter dans le temps l’application de sa décision, tous les contribuables en cours de régularisation qui n’ont pas encore signé de transaction avec le STDR peuvent s’en prévaloir.

Cette jurisprudence engendrera-t-elle, après l’annulation de l’amende proportionnelle « compte », un nouveau « trou » dans les recettes attendues de l’actuelle campagne de régularisation ?

Rien n’est moins sûr. Si les contribuables qui se faisaient redresser pour la détention d’un compte étranger non déclaré camouflé derrière une structure offshore subissaient de plein fouet l’application de ce texte, le STDR considérait qu’il n’était pas applicable lorsque la société interposée avait réalisé des pertes. Or, au titre de la période de régularisation, c’est surtout l’année 2008 qui posait problème du fait de l’effondrement des marchés boursiers.

Si les contribuables régularisés de force vont apprécier d’échapper à une taxation forfaitaire – de surcroit au taux particulièrement pénalisant de 7,76 % après majoration de 25 % – au titre d’une année déficitaire, ceux qui ont régularisé spontanément leur situation vont seulement bénéficier d’une taxation réelle au titre des années 2006 et 2007, puisque le STDR acceptait en outre le report de leurs pertes 2008 sur les années suivantes, d’une part, et que le régime de taxation forfaitaire a pris fin en 2010 du fait de la signature par la Suisse d’un accord d’échange de renseignements, d’autre part. Or, 2006 et 2007 étant de « belles » années boursières, il est peu probable qu’une taxation au réel s’avère plus favorable que le forfait prévu par l’article 123 bis…

Bref, si cette victoire judiciaire bénéficiera effectivement aux « vrais » fraudeurs, à savoir ceux qui, n’ayant pas souhaité régulariser spontanément leur situation, se seront fait « rattraper par la patrouille », les contribuables repentants ne devraient pas en tirer grand avantage. Tant pis pour eux, mais tant mieux pour les finances publiques…