Par une décision n° 407223 du 21 avril 2017 que viennent d’obtenir nos confrères et amis Stéphane Austry et Luc Jaillais, le Conseil d’Etat vient de transmettre une Question Prioritaire de Constitutionnalité au Conseil Constitutionnel concernant le montant maximal de la soulte qui peut être stipulée dans un apport de titres pour que la plus-value d’apport bénéficie du sursis de paiement prévu à l’article 150-0B du CGI (et depuis le 20 novembre 2012 l’article 150-0B ter).

Le litige concerne un contribuable qui a semble-t-il mal calculé le montant de la soulte, pensant que le seuil de 10 % s’appliquait au montant de l’apport alors qu’il s’applique à la valeur nominale des titres reçus. D’où la remise en cause par l’administration du régime de sursis d’imposition de la plus-value réalisée et l’exigibilité de la totalité de l’impôt sur les plus-values.

Nos confrères ont soutenu avec succès devant le Conseil d’Etat que les conséquences d’un dépassement de ce seuil de 10 % violait les principes d’égalité devant l’impôt et les charges publiques garanties par les articles 6 et 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 pour les motifs suivants.

En premier lieu, la loi crée selon eux un effet de seuil excessif dès lors qu’un dépassement, même extrêmement faible, fait passer l’opération d’apport d’un sursis total à une taxation totale.

En second lieu, elle traite moins favorablement les contribuables qui, ayant eu à acquitter une prime d’émission, voient le seuil des 10 % diminuer d’autant alors même que cette prime d’émission a la nature juridique d’un apport. Si l’on sait qu’un différence de traitement est possible lorsqu’elle poursuit une raison d’intérêt général en rapport avec l’objet de la loi, on peine effectivement à identifier un tel motif au cas particulier.

La difficulté pour le Conseil Constitutionnel va être de trancher la question alors même que le mode de détermination de la soulte comme son montant maximum sont prévus par une Directive Européenne (n° 2009/133/CE du 19 octobre 2009).

Or, la loi française a transposé la directive en décidant depuis l’origine (1991) de traiter de manière uniforme les opérations entrant dans son champ d’application (les apports de titres donnant à la société bénéficiaire de l’apport situé dans un autre Etat-membre de l’Union le contrôle de la société dont les titres sont apportés ou le renforçant) et les autres (les opérations d’apport réalisées entre sociétés françaises ou étrangères non-UE, ou celles qui ne donnent ni ne renforcent le contrôle de la société dont les titres sont apportés).

On sait depuis la décision rendue sur la loi de transposition de la clause anti-abus de la Directive « Distributions » (n° 2015-726 DC) que le Conseil est pleinement compétent pour juger de la conformité à la Constitution d’une mesure de transposition lorsqu’elle dépasse le champ d’application de la Directive transposée, alors que pour la transposition de la Directive son contrôle est beaucoup plus restreint.

Juger la loi de transposition contraire à la Constitution n’aura donc en principe pas d’impact sur la Directive, de sorte que l’unicité de traitement voulue par le législateur et la CJUE (CJCE 17 juillet 1997, n° C-28/95, Leur-Bloem) va s’en trouver nécessairement affectée.

Le Conseil Constitutionnel voudra-t-il aller dans cette direction qui, pour le coup, irait aux antipodes du sens de sa décision Metro Holding (n° 2015-520) et serait probablement même contraire au droit européen dès lors que les opérations communautaires seraient moins bien traitées que les opérations internes ?

C’est à notre avis là que se trouve l’écueil principal auquel risquent d’être confrontés nos confrères, car on sait que le Conseil Constitutionnel n’hésite pas à modifier, parfois même radicalement, sa jurisprudence lorsque celle-ci le conduit dans une direction qu’il ne veut ou ne peut pas suivre. Et c’est bien ce qui pourrait arriver ici.