Résumé : Notre QPC a abouti à une réserve d’interprétation qui transforme la présomption irréfragable de taxation à l’ISF des biens en trust au nom du constituant en présomption simple. Il restera à l’administration fiscale, sous le contrôle du juge de l’impôt, à fixer les conditions d’application de cette réserve, en particulier la nature des justificatifs à apporter pour démontrer que le constituant n’a conservé aucune capacité contributive sur les biens mis en trust, sachant que cette preuve ne pourra résulter du simple caractère irrévocable et discrétionnaire du trust.

Par une décision n° 2017-679 QPC du 15 décembre 2017, le Conseil Constitutionnel a jugé conforme à la Constitution l’article 885 G ter du CGI, mais a assorti sa décision de la réserve d’interprétation suivante : « le constituant doit avoir la possibilité de démontrer que les biens, droits et produits en trust ne lui confèrent aucune capacité contributive, résultant notamment des avantages directs ou indirects qu’il tire de ces biens, droits ou produits ». Cette même réserve précise que cette preuve ne saurait résulter uniquement du caractère irrévocable du trust et du pouvoir discrétionnaire de gestion de son administrateur.

Le fait que la loi ait été déclarée conforme à la Constitution signifie que contrairement à l’état de droit antérieur à l’année 2012, l’administration fiscale bénéficie toujours d’une présomption lui permettant de soumettre à l’ISF les biens mis en trust au nom du constituant – ou du bénéficiaire réputé constituant – du trust.

Toutefois, la réserve d’interprétation fondée sur l’article 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (principe d’égalité devant les charges publiques) transforme cette présomption, qui était jusqu’ici irréfragable, en présomption simple à laquelle le constituant peut faire échec en démontrant que les biens mis en trust ne lui procurent plus aucune capacité contributive.

Le Conseil apporte à cet égard deux précisions importantes. La première est que cette capacité contributive peut résulter notamment – la liste n’est donc pas limitative – des avantages directs ou indirects que le constituant tire de ces biens. Elle signifie que l’administration dispose d’un spectre plus large que le simple abus de droit pour taxer le constituant, qui peut se voir reconnaître une capacité contributive résultant non seulement d’un avantage direct, mais également d’un avantage indirect. Il y a là pour l’administration un net progrès par rapport à la situation antérieure à 2012.

Un avantage direct est facile à reconnaître : il consiste pour le constituant à avoir la faculté d’obtenir du trust le versement de sommes quelconques, pourvu toutefois que cette faculté résulte d’une prérogative et non d’une simple faculté discrétionnaire du trustee. Un avantage indirect l’est moins. On peut penser – mais il faudra attendre les commentaires de la décision que publiera le Conseil pour en savoir plus – qu’il vise la situation où le constituant pourrait obtenir du trustee qu’il fournisse à ses propres créanciers des garanties sur les biens en trust.

La seconde est que cette question ne peut être traitée seulement de manière théorique, par l’examen de l’acte de trust. Encore faut-il que le fait soit conforme au droit. Cela signifie à notre avis que si le trustee a consenti au constituant des avantages directs ou indirects et alors même qu’il n’y était pas tenu, ce dernier sera réputé avoir conservé sur les biens en trust une capacité contributive le rendant taxable sur la fortune représentée par ces biens. On peut toutefois espérer, s’agissant d’un impôt annuel, que cette situation sera appréciée en fonction des seuls faits survenus l’année précédente et non une fois pour toute.

Le Conseil Constitutionnel fixe le cadre, mais ce sera à l’administration, sous le contrôle du juge de l’impôt (à savoir le juge judiciaire), de régler au cas par cas les difficultés d’application de la réserve.

Espérons que l’administration saura faire preuve de largeur de vue dans l’appréciation de cette réserve, en particulier en ce qui concerne les justificatifs à apporter par le constituant, afin d’éviter d’encombrer les tribunaux avec des litiges où le constituant pourra démontrer, grâce à une attestation du trustee, qu’aucune somme provenant des biens mis en trust ne lui a été versée.

Il reste maintenant au Conseil à introduire la même réserve d’interprétation pour l’Impôt sur la Fortune Immobilière, dont le futur article 970 du CGI contient exactement la même disposition que l’article 885 G ter. Gageons que les parlementaires qui lui déféreront très prochainement la loi de finances pour 2018 penseront à l’en saisir.