On sait que la donation préalable à la cession de valeurs mobilières ou de droits sociaux a l’intéressante vertu de « purger » tout ou partie de la plus-value réalisée grâce à l’augmentation du prix de revient des titres donnés qu’elle permet de réaliser. Ainsi, en substituant les droits de mutation à titre gratuit à l’impôt sur la plus-value, elle permet de réaliser à la fois une économie immédiate par rapport à la flat tax de 30 % lorsque la donation bénéficie d’abattements fiscaux et/ou n’est pas taxée à un taux marginal excédant 20 %, d’une part, et une économie plus lointaine de droits de succession en cas de réserve d’usufruit puisque ces derniers ne seront pas dus au décès du donateur sur son usufruit qui rejoindra gratuitement la nue-propriété reçue par le donataire, d’autre part.


On sait aussi que cet avantage ne bénéficie pas aux donations fictives, c’est-à-dire celles où le donateur a ensuite repris ce qu’il avait donné. L’adage « donner et retenir ne vaut » permet en effet à l’administration de remettre en cause la donation sur le fondement de l’abus de droit pris dans sa branche « fictivité ».


La Cour Administrative d’Appel de Nantes vient de juger qu’un contribuable qui avait donné la nue-propriété et la pleine propriété de droits sociaux commettait un abus de droit lorsqu’il récupérait le prix de vente des titres donnés en pleine propriété et en nue-propriété (2 juillet 2020, n° 18NT01415).


Les faits de l’espèce étaient les suivants. Préalablement à la cession de ses titres, le contribuable avait procédé à leur donation en nue-propriété pour une partie et prévu qu’en cas de cession, le démembrement serait maintenu sur le prix de vente dans le cadre d’un remploi. Quelques jours plus tard, il concluait avec le nu-propriétaire une convention de quasi-usufruit et récupérait la totalité du prix de vente des titres donnés en nue et en pleine propriété.


La position nous semble parfaitement justifiée pour les titres donnés en pleine propriété, le contribuable ayant reconnu avoir repris leur prix de vente au motif qu’il s’était rendu compte qu’en « optant » pour le quasi-usufruit, c’était lui et non le donataire, qui était redevable de l’impôt sur les plus-values.


Pour les titres démembrés en revanche, l’hésitation était permise. Le contribuable avait-il commis un véritable abus ou s’était-il simplement montré maladroit ? En effet, si la jurisprudence reconnaît aux parties le droit de décider qui sera le redevable de l’impôt sur la plus-value, c’est à la condition que la question soit réglée dans un acte conclu et rendu opposable au fisc antérieurement à la vente (CE 30 décembre 2009, n° 307165). Ainsi, c’est généralement l’acte de donation qui doit prévoir le sort du prix de vente en cas de cession des titres démembrés, sachant que son attribution à l’usufruitier dans le cadre d’un quasi-usufruit rend ce dernier redevable de l’impôt sur la plus-value alors que c’est le nu-propriétaire qui est taxable en cas de clause de remploi du prix dans l’acquisition de biens démembrés.


Dans cette affaire, le redevable de l’impôt sur la plus-value avait été en quelque sorte « figé » par les clauses de la donation, seul acte opposable à l’administration conclu avant la vente. La convention de quasi-usufruit enregistrés postérieurement ne pouvait avoir aucun effet à cet égard.


Or, on sait depuis l’arrêt du Conseil d’Etat « Pharmacie de Chalonges » (5 mars 2007 n° 284457) que l’abus de droit n’est pas applicable lorsque l’acte passé par le contribuable ne lui permettait pas d’atténuer ses charges fiscales. Cette jurisprudence ne pouvait-elle pas en l’espèce faire échec à l’abus de droit dans la mesure où la reprise des biens donnés ne procédait finalement que de la conclusion tardive de la convention de quasi-usufruit ?


Suivant en tous points l’avis que la Comité de l’Abus de Droit Fiscal avait rendu dans cette affaire (n° 2013-45), la Cour a estimé que la réappropriation par le donateur du produit de la vente allant à l’encontre de l’intention des parties telle qu’exprimée dans l’acte de donation, sur laquelle la convention de quasi-usufruit postérieure ne pouvait revenir, elle suffisait à caractériser l’abus. Il n’y avait donc selon elle pas de maladresse de la part du contribuable, mais des intentions coupables.


Et effectivement, on a bien le sentiment à la lecture de l’arrêt que le contribuable avait commencé un schéma avec un conseil (probablement le notaire) et l’avait terminé avec un autre, qui lui avait manifestement fait miroiter qu’il était possible de changer son fusil d’épaule au milieu du gué.
Par cet arrêt très didactique, la Cour de Nantes est venue nous rappeler fort opportunément que l’optimisation fiscale est un art qui requiert un minimum de constance.