On se souvient que le Conseil d’Etat avait transmis au Conseil Constitutionnel notre QPC portant sur le régime d’imposition des plus-values sur biens meubles lorsque le bien cédé est situé hors de l’Union Européenne (https://blog.bornhauser-avocats.fr/index.php/2020/09/18/inventaire-avant-fermeture-addendum/).


L’audience avait lieu le 18 novembre à 15 heures rue de Montpensier. Nous nous y sommes rendu en traversant un Paris déserté par la crise sanitaire qui avait des airs de dimanche. Pour permettre de maintenir une bonne distanciation sociale, l’audience se tenait dans le grand salon d’honneur au premier étage, sans public autre que les parties et leurs avocats. Dans ce cadre prestigieux qui nous fera regretter le retour à la normale, nous n’étions autorisés à retirer notre masque que pour plaider.


Voici le lien vers la vidéo de notre intervention : https://dai.ly/x7xkows


Et le texte de nos observations :


« Monsieur le Président,Mesdames, Messieurs les membres du Conseil Constitutionnel,


Je viens plaider devant vous le caractère discriminatoire du régime d’imposition des plus-values de cession de biens meubles réalisées par les personnes physiques résidentes de France lorsque le bien vendu est un objet précieux situé hors de l’Union Européenne.


Un bref rappel des textes applicables et de leur évolution me paraît nécessaire. Car cette différence de traitement avait à l’origine une justification qu’elle a ensuite perdue du fait de l’européanisation des règles applicables.


En 1976, le législateur a voté l’imposition de l’ensemble des plus-values de cession d’immeubles et de biens meubles. Compte tenu des larges exonérations accordées à ces derniers, seuls les objets et métaux précieux étaient en pratique concernés par l’imposition. Le système mis en place était l’impôt sur le revenu au barème progressif mâtiné d’un coefficient d’érosion monétaire pour tenir compte d’une inflation à l’époque galopante et d’un abattement pour durée de détention aboutissant à une exonération au bout de 22 ans pour les immeubles et 12 ans pour les meubles.


Mais pour des raisons pratiques, le législateur a instauré parallèlement une taxe forfaitaire sur les ventes de meubles assise sur le prix de vente. Le fait générateur était la cession, mais également l’exportation du bien. En effet, il était considéré à l’époque que si le meuble franchissait la frontière sans subir l’impôt, l’imposition de sa plus-value était irrémédiablement perdue pour les finances publiques compte tenu des facilités offertes à l’époque à l’étranger (comptes bancaires secrets) et des faibles moyens d’investigation à disposition du fisc (peu ou pas d’assistance administrative).


Avec la suppression du contrôle des changes et l’instauration des libertés communautaires, le régime a évolué et l’exportation hors de France a cessé d’être taxable si l’Etat de destination est situé dans l’Union Européenne. Pour les États-tiers, l’imposition a subsisté, fondée sur la clause de gel autorisant la France à maintenir les discriminations en vigueur au 31 décembre 1993. Ce n’est pas le débat ici mais il n’est pas inintéressant de relever qu’avec la réforme des plus-values de 2004, la clause de gel a disparu et la discrimination dont vous êtes saisis est très probablement devenue contraire également à la liberté communautaire de circulation des capitaux.


Bref, l’européanisation du texte, assumée en 1993 puis subreptice en 2004, a abouti à créer une différence de traitement entre les cessions d’objets précieux situés en France ou dans un autre Etat-membre, qui sont soumises à la taxe forfaitaire ou, sur option du contribuable lorsqu’il lui est plus favorable, au régime général des plus-values, et celles d’objets précieux situés hors de l’Union Européenne, où seul ce dernier régime s’applique.


Cette différence de traitement est donc devenue sans rapport avec l’objet de la loi, comme le reconnaît d’ailleurs le Premier Ministre qui, jusqu’à présent, est tout à fait d’accord avec moi. D’autant plus que l’argument qui justifiait l’imposition des exportations des objets précieux a lui aussi disparu avec le renforcement de l’assistance administrative internationale et la disparition du secret bancaire à l’étranger.


Là où nous divergeons, c’est sur la manière de corriger cette différence de traitement. Le 1er Ministre vous propose de différer votre décision dans le temps pour laisser au législateur le soin de déterminer quel système il souhaite maintenir : la taxation forfaitaire généralisée à toutes les ventes ou le seul régime général d’imposition des plus-values sur biens meubles.


Nous observons pour notre part que même s’il ne manie que la gomme et pas le stylo, il sera ici très facile pour votre Conseil de supprimer cette différence de traitement en étendant le champ d’application de la taxe forfaitaire aux cessions d’objets précieux situés hors de l’Union Européenne. Il lui suffira pour cela de supprimer au I de l’article 150 VI les mots « ou les exportations, autres que temporaires, hors du territoire des Etats membres de l’Union européenne » ainsi que le II de cet article.


Le législateur pourra toujours s’il le souhaite s’emparer de cette question, ce dont personnellement je doute car le système de la taxe forfaitaire participe du rayonnement de la France sur le marché de l’art et de son attractivité.
Et quand bien même vous seriez tentés de donner satisfaction au 1er Ministre et de différer l’effet de votre décision, vous devriez néanmoins régler le régime fiscal des cessions d’objets précieux situés hors de France intervenus dans l’intervalle. Et comment faire autrement qu’en alignant les deux régimes sur le plus favorable, à savoir l’application de la taxe forfaitaire sauf option pour le régime de droit commun si celui-ci s’avère plus favorable ?


Pour tous ces motifs, je vous demande de bien vouloir confirmer que le régime fiscal des ventes d’objets précieux contrevient au principe d’égalité devant la loi garanti par l’article 6 de la DDHC et corriger cette discrimination en étendant le champ d’application de la taxe forfaitaire à toutes les ventes sans distinction du lieu de situation de l’objet vendu en procédant à la suppression des mots « ou les exportations, autres que temporaires, hors du territoire des Etats membres de l’Union européenne » au I de l’article 150 VI du CGI ainsi que du II de cet article.

Je vous remercie. »