La décision n ° 2016-538 QPC dans laquelle nous sommes intervenus dans l’intérêt de deux de nos clients vient d’être rendue et le moins que l’on puisse dire est qu’elle ne correspond pas à nos espérances.

Côté positif, les contribuables ayant apporté des titres à une société qu’ils contrôlent entre le 14 novembre et le 31 décembre 2012 vont avoir accès lors de la cession des titres reçus en échange, pour la plus-value en report constatée lors de leur apport, à la fiscalité qui était applicable aux cessions de valeurs mobilières et de droits sociaux en 2012, à savoir un taux forfaitaire de 24 % (taux de droit commun) ou 19 % (taux réservé aux dirigeants remplissant certaines conditions), le tout étant majoré des prélèvements sociaux et de la Contribution Exceptionnelle sur les Hauts Revenus.

Pour cela, le Conseil Constitutionnel a validé la loi avec une réserve d’interprétation en considérant que seul un motif d’intérêt général aurait permis au législateur de modifier rétroactivement le mode d’imposition de la plus-value reportée devenant imposable dès lors que le report d’imposition était obligatoirement applicable et non sur option. Or, il a constaté qu’en l’espèce un tel motif faisait défaut, de sorte que les contribuables concernés ne pouvaient subir un système d’imposition différent.

Sa réserve est toutefois expressément limitée en ce qu’elle ne permettra pas aux contribuables qui auront apporté des titres postérieurement au 1er janvier 2013 de revendiquer le bénéfice de l’abattement pour durée de détention qu’ils auront constaté lors de l’apport si le législateur décidait ultérieurement de revenir à un système d’imposition à un taux proportionnel. En d’autres termes, ils n’auront pas le beurre (l’abattement) et l’argent du beurre (le taux proportionnel).

L’argument qui semble avoir particulièrement retenu l’attention du Conseil Constitutionnel est celui, qualifié dans les commentaires de la décision de « paradoxal », que nous avions développé, selon lequel le contribuable ayant réalisé un tel apport, puis vendu les titres apportés sans en réinvestir 50 % dans les deux ans, opération qui aurait été passible d’une pénalité de 80 % pour abus de droit avant l’entrée en vigueur de l’article 150-0 B ter le 14 novembre 2012, aurait été bien mieux traité que celui qui aurait respecté les conditions du texte en conservant les titres apportés pendant 3 ans ou, en cas de cession dans ce délai, réinvesti au moins 50 % du prix de vente dans des opérations professionnelles. C’est exactement cela que la réserve d’interprétation a pour effet de corriger en replaçant les deux contribuables dans la même situation.

Même si le résultat obtenu n’est pas aussi favorable que nous l’espérions sur ce point, puisque nous demandions le bénéfice de l’abattement à la plus-value en report compte tenu de la durée de détention des titres apportés à la date de l’apport (soit en l’occurrence un abattement de 85 % pour notre client), ce résultat justifie pleinement notre intervention à l’instance constitutionnelle puisque les demandeurs de la QPC étaient titulaires de plus-values en report antérieures à 2000.

Il est d’ailleurs piquant de constater que c’est leur argumentaire sur la garantie des droits qui a été le fondement retenu par le Conseil Constitutionnel pour nous donner partiellement satisfaction sur ce point.

Pour les plus-values en report antérieures à 2000, c’est en revanche la déception. Le Conseil a considéré qu’en optant pour le report de l’imposition de leur plus-value constatée lors de l’échange de leurs titres, les contribuables ont pris un risque quant au régime fiscal applicable lors de la cession des titres reçus en échange et qu’il leur incombe d’en assumer les conséquences. Aucun principe constitutionnel, pas plus la garantie des droits que les principes d’égalité, ne les protège contre cet aléa. Il conviendrait peut-être de saisir la Cour Européenne des Droits de l’Homme sur le fondement du 1er Protocole additionnel à la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme pour vérifier qu’elle partage bien cette analyse, mais les chances de succès nous semblent pour l’instant plutôt faibles.

Alors que nous soutenions que le nouveau régime d’imposition des plus-values créait un lien indéfectible entre imposition au barème progressif et abattement pour durée de détention, le Conseil a pour sa part adopté une position minimaliste en considérant que si un tel lien existait bien, ce n’était pas avec l’abattement pour durée de détention, mais avec un coefficient d’érosion monétaire qui permettra aux contribuables concernés de réévaluer le prix de revient de leurs titres échangés pour tenir compte de l’inflation. Autant dire peu de choses, sauf pour les titres détenus depuis les années 70, époque où sévissait une forte inflation.

Seule satisfaction : telle qu’elle est rédigée, la décision nous semble permettre d’appliquer ce coefficient à la plus-value en report déterminée non seulement pour l’impôt sur le revenu, mais également pour les prélèvements sociaux. On attendra toutefois les commentaires de l’administration sur ce point, mais il serait en tout état de cause regrettable de complexifier encore plus la tâche des contribuables concernés en leur imposant une double liquidation de leurs plus-values en report devenant imposables.

Bien entendu, l’administration devra publier ces fameux coefficients d’érosion monétaire, car en l’état il ne nous est pas possible d’appliquer la décision rendue. Il n’y a plus qu’à espérer que cette publication intervienne rapidement, c’est-à-dire avant la fin de la campagne déclarative pour éviter aux intéressés d’avoir à formuler ultérieurement une réclamation pour voir réduire le montant de leur plus-value en report devenant imposable en 2015. A moins que le législateur ou l’administration ne s’emparent de cette question pour harmoniser ces questions dans un sens favorable aux contribuables détenant des plus-values en report, mais l’époque actuelle n’est guère propice à l’accomplissement de miracles…