(Cass. com. 30 novembre 2022, n° 20-18.884)

On sait qu’il résulte de l’article 726 du Code général des impôts (CGI) que les cessions de droits sociaux sont soumises à un droit d’enregistrement proportionnel. Ce droit est notamment de 5 % pour les cessions de participations dans des personnes morales à prépondérance immobilière, avec un minimum de perception égal à 25 €.

C’est ainsi que l’administration fiscale considérait que la cession temporaire de l’usufruit des parts d’une SCI devait être soumise au taux de 5 %. 

Néanmoins, après avoir rappelé que l’usufruitier de parts sociales ne peut se voir reconnaître la qualité d’associé (conformément à l’avis rendu le 1er décembre 2021 par la Cour de cassation puis à l’arrêt du 16 févr. 2022, n° 20-15.164), la Cour de cassation considère que la cession de l’usufruit de droits sociaux ne peut être qualifiée de cession de droits sociaux dès lors qu’elle n’emporte pas mutation de la propriété des droits sociaux.

A l’inverse, la Cour d’appel de Paris retenait que le terme « cession » employé par l’article 726 du CGI comprenait toute transmission temporaire ou définitive de la part sociale elle-même ou de son démembrement, telle la cession de l’usufruit ou de la nue-propriété (CA Paris, 29 juin 2020, n° 18/27154).

Cette jurisprudence nous permet de revenir sur la notion de démembrement de propriété en droit français. La propriété se compose du droit de jouir du bien, conféré à l’usufruitier, et du droit d’en disposer, conféré au nu-propriétaire. Le nu-propriétaire et l’usufruitier disposent ainsi de deux droits réels qui coexistent sur la chose démembrée. Mais quelle est la nature réelle de cet usufruit ? La jurisprudence balance entre deux conceptions possibles : l’usufruit est un droit réel au même titre que le droit dont il est le démembrement, ou l’usufruit est une charge de la propriété. Lorsque la jurisprudence (codifiée depuis à l’article 621 du Code Civil) décide que sauf stipulation contraire, le prix de vente d’un droit démembré doit être réparti entre les titulaires des droits démembrés au prorata de la valeur de chaque droit, elle s’inscrit dans cette première conception.

Nos voisins helvétiques s’inscrivent pour leur part dans la seconde conception. Pour eux, l’usufruit est la servitude qui confère à une personne déterminée un droit de jouissance complet sur la chose (article 745 du Code Civil Suisse (CCS)). L’usufruit n’est ni cessible, seul son exercice pouvant être transféré à un tiers, ni transmissible dès lors qu’il prend fin à la mort de l’usufruitier (articles 749 et 758 du CCS). Pour céder des biens démembrés, il faut que l’usufruitier abandonne son droit sous condition que le propriétaire lui consente un droit identique sur le prix de vente ou les biens acquis en remploi.

La jurisprudence commentée ici s’inscrit dans cette même conception qui recentre la notion d’usufruit sur le droit de jouissance – et non de propriété – conféré à l’usufruitier. En effet, la Cour de cassation a clairement refusé la qualité d’associé à l’usufruitier notamment au regard du fait que l’usufruit portant sur la chose d’autrui conformément aux dispositions de l’article 578 du Code Civil, l’usufruitier n’est pas propriétaire des droits sociaux démembrés.

La bonne nouvelle pour les contribuables est que les cessions d’usufruit de droits sociaux seront désormais soumises au droit fixe de 125 €. La mauvaise est que depuis l’entrée en vigueur de l’article 13-5 du CGI, les personnes physiques ne cèdent plus d’usufruit temporaire. Seuls les contribuables qui cèdent des usufruits viagers pourront donc apprécier les bienfaits de cette nouvelle jurisprudence.

Pour autant que cette opération, lorsque l’acquéreur est une personne morale, soit juridiquement possible puisque les personnes morales ne peuvent pas, conformément à l’article 619 du Code Civil, acquérir un usufruit d’une durée supérieure à 30 ans.

De beaux débats en perspective !