(Cass. com. 10 mai 2024, n° 22-18.812 F-B)

On sait que les titres des sociétés foncières non cotées sont en principe soumis à l’impôt sur la fortune, hier l’ISF et aujourd’hui l’IFI. En effet, les immeubles qu’elles exploitent en les louant nus sont affectés à une activité civile et ne peuvent ainsi bénéficier de l’exonération, conformément aux articles 885 O ter et quater du CGI (pour l’ISF) et 965 (pour l’IFI).

Un contribuable avait constitué une société foncière qui possédait ses immeubles à travers des sociétés civiles immobilières. Mais sa société foncière – holding des SCI – était également syndic et administrateur de biens des immeubles possédés par les SCI. Redressé par l’administration qui contestait l’application de l’exonération au titre de l’outil de travail, il prétendait dans un premier temps que sa foncière était une holding animatrice de groupe. La Cour de cassation rejette sèchement le moyen en lui rappelant que pour que l’exonération propre aux holdings à animatrices de groupe s’applique, encore faut-il que les filiales exercent elles-mêmes une activité professionnelle, ce qui n’est bien entendu pas le cas de l’activité – patrimoniale – de location d’immeubles nus.

Il soutenait dans un second temps que sa société foncière exerçant une activité professionnelle de syndic et d’administrateur de biens pour les immeubles appartenant aux SCI, ces derniers constituaient des actifs affectés à l’exploitation de la foncière et n’étaient pas exclus de l’exonération par l’article 885 O quater du CGI.

La Cour d’appel lui avait donné tort au motif que même si elle reconnaissait que la société foncière exerçait bien une activité professionnelle à titre principal, la détention des immeubles possédés par les SCI s’inscrivait dans le cadre de l’exercice d’une activité civile qui lui procurait des revenus financiers importants et que comme leur valeur excédait celle des actifs professionnels, son actionnaire ne pouvait bénéficier d’aucune exonération.

La Cour de cassation ne voit pas les choses de cette manière : elle casse l’arrêt en affirmant qu’à partir du moment où les juges du fond ont considéré que la société foncière exerçait bien une activité professionnelle de syndic et d’administrateur de biens à titre principal, ils ne pouvaient sans se contredire refuser d’exonérer la valeur des biens affectés à cette activité professionnelle. En effet, seule la valeur des biens non affectés à cette activité était taxable.

Cette décision soulève plusieurs questions.

La première concerne l’exercice d’une activité professionnelle par une société quand ses seuls clients sont ses filiales. On peut légitimement hésiter sur ce point mais ce qui semble avoir emporté la conviction du juge réside dans le fait que les activités de syndic et d’administrateur de biens sont règlementées : selon la loi Hoguet, il faut être titulaire d’une carte professionnelle et d’une garantie financière. Il est donc loin d’être certain que la simple fourniture de services immobiliers au sens où on l’entend dans le cadre de la gestion d’une holding animatrice de groupe aurait suffit.

La deuxième concerne le fait que l’activité professionnelle revendiquée n’ait été exercée qu’au bénéfice des filiales de la société foncière. Nous avons un gros doute sur l’absence de risque d’abus de droit à ce titre. Toutefois, comme le débat portait sur l’application des textes d’assiette, il est logique que l’administration ne l’ait pas invoqué (et elle ne pourra pas non plus le faire devant la Cour de renvoi pour des raisons de procédure bien connues : l’abus de droit rampant). Mais si la décision finale valide l’exonération de la valeur des immeubles loués, il est plus que probable que la question de l’abus de droit revienne se poser.

La troisième porte sur l’appréciation du caractère prépondérant de l’activité professionnelle exercée. Bien que l’arrêt soit assez laconique sur ce point, il semble bien que les juges du fond ont fait application du faisceau d’indices dégagé par la jurisprudence (Cass. Com., 14 octobre 2020, n°18-17.955) pour considérer comme exercée à titre principal une activité dont les éléments d’actifs affectés à l’exploitation avaient une valeur plus faible que ceux – les immeubles – affectés à l’activité civile. Manifestement, les sociétés civiles étaient assujetties à l’impôt sur les société et les dividendes qu’elles distribuaient à la société foncière étaient d’un montant inférieur aux honoraires de gestion que cette dernière leur facturait.

La quatrième porte sur l’assujettissement ou non à l’impôt sur la fortune à raison de la valeur des immeubles possédés par les SCI. Ce point n’est en effet pas tranché par la Cour de cassation qui se contente de casser l’arrêt d’appel pour contradiction de motifs. Or, là est le cœur du débat : si la Cour de renvoi puis la Cour de cassation considèrent que le fait que les immeubles soient gérés par la société foncière suffise à leur conférer un caractère professionnel, alors on voit bien comment les foncières vont s’organiser pour permettre à leurs associés d’échapper à l’IFI. Sans parler de l’application de la loi « Dutreil » pour détaxer largement la transmission à titre gratuit des titres de ceux susceptibles d’en remplir les conditions.

Nous surveillerons donc avec attention les décisions qui seront rendues, en commençant par ce que jugera la Cour d’appel de Grenoble à qui la Cour de cassation a renvoyé l’affaire.