Trusts canadiens et ISF : la Cour d’appel de Paris déboute le fisc
(CA Paris 6 février 2023, n° 21/10189)
L’affaire Blue Bridge met actuellement sous la lumière crue des projecteurs les trusts canadiens et leur utilisation présumée à des fins d’évasion fiscale. Selon la presse, de riches familles françaises auraient caché une partie de leur fortune dans des trusts au Canada afin d’éviter l’application de l’Impôt de Solidarité sur la Fortune. Des avocats français seraient impliqués dans ce qui ne pourrait bien évidemment être qu’une fraude fiscale d’ampleur biblique. Bref, tous les ingrédients semblent réunis pour qu’éclate un beau scandale comme les médias aiment tant en voir en France.
Toutefois, les faits sont têtus et la montagne pourrait bien n’accoucher que d’une souris. C’est en tous cas ce que laisse à penser la décision que vient de rendre la Cour d’Appel de Paris dans une affaire impliquant un contribuable français qui avait constitué en 1986 un trust au Canada dont le trustee était le gérant de la fameuse société Blue Bridge.
L’administration fiscale avait eu vent de l’existence de ce trust et interrogé le contribuable qui, contrairement à ce que laisse entendre la presse, avait parfaitement collaboré en donnant au vérificateur toutes les informations utiles. Ce dernier avait alors notifié au trustee le prélèvement sui generis de l’article 990 J du CGI dont le contribuable était solidairement responsable.
Le trustee a contesté l’application de ce prélèvement en développant l’argumentation suivante. Conformément à l’article 3 § 1 b) de la Convention fiscale franco-canadienne, les trusts constituent au Canada des personnes qui bénéficient expressément de la Convention fiscale. Or, l’article 22 § 6 de la convention stipule que.. « les éléments de la fortune d’un résident d’un Etat contractant ne sont imposables que dans cet autre Etat ». En conséquence, les actifs du trust canadien n’étaient taxables qu’au Canada et le prélèvement sui generis n’était donc pas dû.
La Cour adopte intégralement ce raisonnement et infirme le jugement, puis décharge le trustee de toute imposition en France.
Cette décision va-t-elle faire jurisprudence et transformer le dossier Blue Bridge en fiasco fiscal ? Rien n’est moins sûr car le diable se niche toujours dans les détails. En effet, la Cour prend bien soin de noter que le trust canadien avait été constitué en 1986 « de bonne foi ». Car à l’époque, l’IGF venait d’être abrogé et l’ISF n’existait pas encore. On ne pouvait donc pas reprocher au contribuable une quelconque volonté d’éluder un impôt qui n’existait pas…
Il n’est donc pas évident que le juge considèrera comme étant de la même « bonne foi » les contribuables français qui auraient constitué des trusts au Canada après le rétablissement de l’ISF. Comme il n’est pas évident que même dans cette situation, les intéressés ne puissent pas non plus faire valoir des raisons non fiscales qui justifieraient leur choix de constituer un trust au Canada. Le juge de l’impôt appréciera dans chaque dossier si le trust est abusif (les anglo-saxons disent « sham trust ») ou légitime.
Mais une chose est certaine : lorsque l’on examine un dossier fiscal avec les yeux froids du spécialiste, on est toujours moins enclin à faire du sensationnalisme…