(CAA Paris, 9° ch., 11 octobre 2024, n° 22PA03139)

On sait que lorsque le bénéficiaire d’un trust reçoit des sommes du trustee, le régime fiscale de ces dernières dépend en principe de leur origine. Si le bénéficiaire récupère des fonds mis en trust par ses soins en qualité de constituant, ces dernières ne sont pas imposables, sauf si le trustee les a prélevées sur les revenus capitalisées du trust. Si le bénéficiaire n’est pas le constituant, il convient de combiner ces principes avec les règles en matière de droits de mutation à titre gratuit, de sorte que seule la fraction des sommes perçues qui excède celles au titre desquelles il a déjà subi les DMTG sera taxable en revenus distribués. En tout état de cause, la preuve du caractère imposable des sommes perçues repose sur l’administration, le bénéficiaire des versements pouvant de son côté administrer la preuve de leur caractère non imposable.

La Cour Administrative d’Appel de Paris vient de rendre une décision particulièrement critiquable dans une situation relevant de la convention fiscale franco-canadienne, qui est, rappelons-le, une convention qui considère les trusts comme des contribuables bénéficiant des stipulations du traité.

Un contribuable résident français avait perçu d’un trust dont il était le bénéficiaire sans l’avoir constitué des sommes importantes qu’il n’avait pas déclarées, mais sur lesquelles l’administration l’avait taxé sur le fondement de l’article 120, 9° du CGI à l’issue d’un contrôle fiscal approfondi.

Le contribuable avait convaincu le tribunal administratif du caractère non imposable des sommes non déclarées en invoquant les éléments suivants :

  • les documents bancaires du trust mentionnaient des « capital distributions »,
  • le fisc canadien, saisi dans le cadre de l’assistance administrative internationale, avait confirmé l’absence de distribution de revenus et l’absence de distribution du trust à ce titre, ainsi que la situation déficitaire du trust,
  • la comptabilité du trust établissait que ces flux correspondaient, pour certaines années, à une redistribution des produits du trust, eux-mêmes déjà soumis à l’impôt sur le revenu et, pour toutes les années, à une opération en capital du trust relevant du champ des droits de mutation à titre gratuit.

La Cour écarte tous ces éléments en relevant que les autorités canadiennes spécifiaient ne pas avoir procédé à un contrôle des comptes du trust au cours des années en litige et que dès lors, la production de la comptabilité du trust ne suffisait pas à apporter la preuve du caractère non imposable des sommes perçues. Elle affirme également que le fait que les résultats du trust aient été négatifs au cours des années redressées ne faisait pas obstacle à ce que des distributions soient intervenues à son profit.

Seule cette dernière remarque nous paraît effectivement fondée : le fait que son résultat annuel soit déficitaire n’interdit pas à un trust de distribuer à ses bénéficiaires les bénéfices accumulés au cours des années précédentes.

En revanche, si l’on comprend que les intitulés portés sur les relevés bancaires du trust n’établissaient effectivement pas grand chose, balayer d’un revers de main la comptabilité du trust dont l’administration locale avait repris les informations dans le cadre de l’assistance administrative internationale nous paraît hautement critiquable.

Certes, l’administration canadienne n’avait pas procédé à un véritable contrôle fiscal de la comptabilité du trust. Mais si les informations reçues lui avaient semblé suspectes, n’y aurait-elle pas procédé spontanément ? Et comment en pratique le contribuable pouvait-il obliger cette administration à effectuer un tel contrôle ? En tirer argument pour déclarer non probante cette comptabilité en l’absence d’indices quelconques de fraude rend absolument impossible l’administration de la preuve par le contribuable du caractère non imposable des sommes perçues. Et transforme de facto le principe d’imposition de l’article 120, 9° en présomption irréfragable.

Rappelons à cet égard que dans l’affaire jugée le 21 avril 2023 (n° 20PA02868) par la 5ème chambre de la même Cour et que nous avions commentée (La jurisprudence Quemener étendue aux trusts ? – Blog du Cabinet Bornhauser avocats), la QPC déposée par le contribuable pour critiquer le caractère irréfragable de cette présomption d’imposition n’avait pas été transmise par la Cour au motif que la preuve du caractère imposable des sommes distribuées par le trust pesait sur l’administration, le contribuable pouvant de son côté apporter tous justificatifs démontrant leur caractère non imposable.

La décision que vient de rendre la 9ème chambre de la Cour Administrative d’Appel de Paris s’inscrit clairement en porte-à-faux de la décision raisonnable rendue par sa 5ème chambre dix-huit mois plus tôt. Espérons que le Conseil d’Etat, à qui une QPC soulevant le caractère anticonstitutionnel de la présomption irréfragable créée par cette décision mériterait d’être posée, vienne replacer l’église au milieu du village en rappelant à qui incombe la charge de la preuve en la matière et comment cette preuve peut être administrée ou, à défaut, laisse au Conseil Constitutionnel le soin de condamner cette présomption irréfragable.