La série d’amendements récemment adoptés par les députés ont plongé nos clients – les particuliers aisés – dans un véritable état de panique. Pour la première fois, ils se sont vraiment affolés devant la créativité taxatrice de la Représentation Nationale.

Nous avons tenté de les rassurer individuellement, mais plutôt que de répéter sans cesse la même chose, nous nous sommes dits qu’un article pédagogique sur l’évolution prévisible du débat budgétaire et son issue constituerait probablement le meilleur moyen de les rassurer collectivement.

Pour ceux qui l’ignorent, notre Constitution contient un article 47 qui régit l’adoption des lois de finances rédigé comme suit :

« Le Parlement vote les projets de loi de finances dans les conditions prévues par une loi organique.

Si l’Assemblée nationale ne s’est pas prononcée en première lecture dans le délai de quarante jours après le dépôt d’un projet, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours. Il est ensuite procédé dans les conditions prévues à l’article 45.

Si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de soixante-dix jours, les dispositions du projet peuvent être mises en vigueur par ordonnance.

Si la loi de finances fixant les ressources et les charges d’un exercice n’a pas été déposée en temps utile pour être promulguée avant le début de cet exercice, le Gouvernement demande d’urgence au Parlement l’autorisation de percevoir les impôts et ouvre par décret les crédits se rapportant aux services votés. (…) ».

Rappelons également que l’article 47-1 de la Constitution est rédigé en termes très proches (seuls les délais changent) pour régir les loi de financement de la sécurité sociale. Mais restons sur les lois de finances.

L’année dernière, compte tenu de la censure du Gouvernement Barnier du fait de l’utilisation de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, le Gouvernement a fait voter une loi spéciale pour autoriser la perception des impôts le temps que le Parlement adopte le budget, ce qui fut finalement fait en février 2025.

Cette année, avec l’engagement du Premier Ministre de ne pas recourir à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution (pour éviter d’être censuré), la probabilité que le budget soit adopté par le Parlement dans les délais prévus par les textes nous semble extrêmement faible : non seulement le débat budgétaire a commencé inhabituellement tard, mais le nombre d’amendements déposés – y compris, et c’est un indice, par le Bloc Central qui soutient le Gouvernement – excède largement le seuil permettant leur examen dans les délais. De plus, sans recours à l’article 49 alinéa 3, nous ne voyons pas comment un projet de loi de finances qui aura été largement amendé par toutes les forces politiques grâce à des majorités de circonstance (et différentes selon les amendements) pourrait rassembler une majorité pour être voté.

Bref, sans être devin, nous anticipons à la fois un dépassement des délais applicables et le rejet du texte final. Quelles solutions s’offriront alors au Gouvernement ?

La loi spéciale est une possibilité qui a été utilisée l’an dernier, mais le miracle qui a vu le précédent Gouvernement aboutir en février 2025 à obtenir une majorité a peu de chances de se reproduire. Car pour boucler le budget, le Gouvernement qui l’avait élaboré est d’abord tombé et son remplaçant a profité d’un très bref état de grâce pour le faire voter. Or, l’actuel Gouvernement fait tout pour ne pas être censuré et semble bien y parvenir.

L’autre possibilité, qui n’a jamais été utilisée à ce jour, est la promulgation du budget par ordonnance. Et là, l’article 47 est formel : c’est le projet de loi de finances qui peut être promulgué, pas sa version amendée. Les Socialistes ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, eux qui ont exigé du Gouvernement qu’il intègre directement dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale initial et non par voie d’amendement la suspension de la réforme des retraites.

Nous anticipons donc qu’à la fin, c’est le projet de loi de finances initial qui sera promulgué par une ordonnance qui a la particularité d’avoir force de loi sans avoir besoin d’être ratifiée. Donc que tous les amendements que nos chers députés ont fait voter et qui alourdissent considérablement la pression fiscale sur les contribuables les plus aisés passeront à la trappe.

Mais l’histoire ne s’arrêtera pas là. En effet, le projet de loi de finances contient plusieurs aggravations de la fiscalité actuelle : taxe sur les holdings, reconduction de la Contribution Différentielle sur les Hauts Revenus, etc. L’ordonnance promulguant le budget étant un acte règlementaire, on peut donc sérieusement se demander si un tel acte peut contenir de telles dispositions, dès lors que l’article 34 de la Constitution réserve au Parlement le droit de voter les impôts et taxes.

Certes, cette ordonnance particulière semble avoir une valeur législative puisqu’elle n’a nul besoin d’être ratifiée. Si tel est le cas, alors elle pourrait effectivement augmenter les impôts.

Néanmoins, la question étant totalement nouvelle, elle méritera d’être posée au juge compétent, dont la détermination n’est d’ailleurs pas non plus évidente. Si l’ordonnance n’est qu’un acte règlementaire, c’est le Conseil d’Etat, saisi d’un recours pour excès de pouvoir, qui devra trancher. Si c’est un acte législatif, son juge ne pourra être que le Conseil Constitutionnel. Mais comment le saisir ? Dans le cadre d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité, bien sûr, mais posée dans quel cadre ?

A l’évidence, il sera possible de contester toute imposition créée ou augmentée par cette ordonnance devant le juge de l’impôt, par tout contribuable concerné. Nous pensons toutefois qu’il devrait également être possible de demander au Conseil d’Etat, dans le cadre du recours pour excès de pouvoir contestant l’ordonnance elle-même, de bien vouloir transmette une QPC au Conseil Constitutionnel s’il estime que cette ordonnance a valeur législative. Ce faisant, le Conseil d’Etat ne ferait que rétablir de manière prétorienne le contrôle a priori du Conseil Constitutionnel sur le texte (saisine par les présidents des deux chambres ou par 60 députés ou sénateurs), qui n’aura pu intervenir compte tenu de la nature règlementaire de cette ordonnance.

Comme on le voit, si la période actuelle est effectivement très anxiogène pour nos clients, elle est également passionnante puisqu’elle nous permet (et ce « nous » englobe non seulement les praticiens que nous sommes, mais également les hauts fonctionnaires qui font fonctionner notre Etat) de découvrir la richesse de notre Constitution. Il reste maintenant à espérer que nos juges sauront interpréter cette dernière avec le souci de maintenir l’Etat de droit tout en évitant l’Arbitraire. Et l’Arbitraire serait pour nous d’autoriser à créer ou augmenter des taxes sans que la Représentation Nationale ne les ait votées. Car c’est le Consentement à l’impôt lui-même – c’est-à-dire le pilier de notre Démocratie – qui serait alors piétiné.