PEE et Plafonnement ISF : Un Couple Infernal ?
Le Tribunal de Grande Instance de Paris a rendu le 30 août 2016 (n° 13/09983) une décision interessante. Pour la première fois, la question de la date de la prise en compte des revenus dégagés au sein d’un Plan d’Epargne d’Entreprise a été soumise au juge de l’impôt et le moins que l’on puisse dire est que la réponse n’a pas été à la hauteur des espérances du contribuable.
Le PEE est comme le PEA une enveloppe fiscale qui permet à un salarié de se constituer un patrimoine financier grâce à des versements volontaires qui peuvent d’ailleurs être abondés, dans certaines limites, par son employeur. Il s’agit donc d’un instrument de politique salariale encouragé par le législateur qui autorise notamment le salarié à y verser en franchise d’impôt sur le revenu (mais pas de prélèvements sociaux) son intéressement et sa participation. L’exonération est étendue aux revenus des placements opérés sur le PEE, la seule contrainte étant que les versements du salarié soient bloqués au sein du plan pendant 5 ans. A l’issue de ce délai, un retrait du PEE est exonéré d’impôt sur le revenu mais supporte les prélèvements sociaux sur les produits des placements réalisés pendant la durée du plan, les versements effectués par le salarié en franchise d’impôt comme l’abonnement de l’employeur y étant, eux, soumis à l’entrée.
Dans l’affaire jugée, le contribuable avait réalisé au sein de son PEE une importante plus-value qu’il n’avait retirée que deux ans plus tard. Pour le calcul du plafonnement de son ISF, il avait considéré que la plus-value à prendre en compte ne devait pas l’être au titre de l’année de sa réalisation, mais de son retrait effectif du plan.
Sur le terrain de la loi, le tribunal lui donne logiquement tort dès lors que depuis 1998, l’article 885 V bis du CGI prévoit que les revenus à prendre en compte dans le plafonnement de l’ISF incluent les revenus exonérés.
Il a en outre écarté l’argument du contribuable relatif à l’opacité fiscale du PEE en relevant que le délai de 5 ans pendant lequel les sommes et valeurs figurant sur le PEE sont bloquées était en l’espèce expiré. Aurait-il jugé différemment si tel n’avait pas été le cas ? Nous le pensons, puisque dans cette hypothèse, force est de constater que le revenu réalisé sur le plan n’est pas disponible pour le contribuable, qui soulevait à cet égard, mais hors de propos, les décisions du Conseil Constitutionnel des 29 décembre 2012 et 29 décembre 2013. Dans cette hypothèse, le jugement est bien évidemment muet sur la date à prendre en considération pour la prise en compte du revenu pour le calcul du plafonnement : première année suivant l’expiration du délai de 5 ans ou date du retrait effectif ?
Le critère pertinent pour le juge étant manifestement la disponibilité du revenu, ce serait donc l’année suivant l’expiration du délai d’indisponibilité de 5 ans qui devrait alors être retenue pour le calcul du plafonnement, ce qui créerait alors un décalage, assez défavorable au contribuable, entre le revenu et l’impôt (les prélèvements sociaux) y afférent. Il ne s’agit toutefois pas d’une curiosité, puisque les mêmes principes s’appliquent pour les prélèvements sociaux sur les fonds euros des contrats d’assurance-vie et de capitalisation, cette fois-ci au bénéfice du contribuable qui peut prendre en compte l’impôt mais pas le revenu correspondant.
Anticipant cette solution défavorable sur le terrain de la loi, le contribuable avait également placé la discussion sur le terrain de la doctrine administrative, en particulier les paragraphe 36 et 37 de la DB 7 S 43 en vigueur à l’époque.
Le paragraphe 36 était rédigé comme suit : « les revenus réalisés, même s’ils sont exonérés de l’impôt sur le revenu, s’entendent de ceux pour lesquels un fait générateur de l’impôt est intervenu au cours de l’année précédant celle de l’imposition à l’impôt sur la fortune. Ce fait générateur peut être la cession (pour les plus-values), l’encaissement (pour les revenus) ou, s’agissant des produits financiers pour lesquelles l’exonération de l’impôt sur le revenu est subordonné à une condition de blocage de l’épargne, le retrait, le rachat, le dénouement ou la clôture d’un contrat, d’un compte ou d’un plan ».
Le paragraphe 37 se présentait comme une illustration du principe exposé au paragraphe précédent en énumérant un certain nombre de revenus particuliers, dont le PEA. Or, si cette doctrine ne mentionnait pas le PEE, elle indiquait que pour le PEA, la date à prendre en compte était celle du retrait effectif du plan. Soutenant que cette liste n’était pas limitative, le contribuable demandait donc que le régime du PEA soit également appliqué au PEE, ce qui ne manquait pas de logique eu égard aux similitudes entre les deux régimes.
Malheureusement pour lui, le tribunal a considéré que la doctrine exprimée au paragraphe 36 ne lui était pas applicable car il avait réalisé une plus-value et non le produit d’un placement financier.
Il en déduisait que la doctrine étant d’interprétation stricte, il ne lui appartenait pas de l’étendre, d’autant que le PEE n’est pour lui nullement assimilable à un PEA dès lors qu’il procède d’une philosophie différente : c’est un instrument collectif d’épargne alors que le PEA est un instrument individuel.
Cette argumentation n’est guère convaincante : une plus-value constitue le produit d’un placement financier et le PEE contient d’ailleurs comme le PEA des règles anti-abus qui visent à éviter que des contribuables puissent y loger de véritables participations. Peut-être le tribunal a-t-il été défavorablement influencé par le fait que la plus-value litigieuse, d’un montant de plusieurs millions d’euros, avait été réalisée sur les titres d’une société que le contribuable avait cofondée ? Il n’en demeure pas moins que s’il a pu les inscrire sur son PEE, c’est qu’ils en remplissaient les conditions.
De plus, la doctrine, qui n’a pas d’âme, doit être interprétée strictement. Or, le PEE est bien un « plan » générateur de » produits financiers pour lesquels l’exonération d’impôt sur le revenu est subordonnée à une condition de blocage de l’épargne ». À partir du moment où cette condition se rencontre bien dans le PEE, il convient d’appliquer la suite, à savoir la prise en compte du revenu à la sortie du plan.
Enfin, l’utilisation de l’adverbe « notamment » au début du paragraphe 37 démontre bien que la liste qu’il citait n’était pas limitative.
Nous ignorons si le contribuable a fait appel de cette décision, mais nous ne pouvons qu’espérer pour lui que la Cour d’Appel de Paris fasse une meilleure lecture que les premiers juges de cette doctrine et lui donne satisfaction.