Le recours pour excès de pouvoir que nous avons formé pour le compte d’un de nos clients afin de contester la légalité de l’instruction administrative commentant le nouveau régime des plus-values de cession de valeurs mobilières et de droits sociaux a donné lieu à une audience publique devant le Conseil d’Etat le 4 novembre 2015.

Comme nous en avions déjà fait état dans de précédentes actualités, nous contestons deux points particuliers de l’instruction :

  • d’une part, l’absence d’application de l’abattement pour durée de détention aux plus-values en report antérieures à 2000, celles-ci se retrouvant taxables au barème progressif de l’impôt sur le revenu, sans aucun correctif ;
  • d’autre part, l’application du même abattement aux moins-values de cession : alors que l’abattement devrait favoriser la détention à long terme, le détenteur d’actions en perte devra en effet se hâter de les vendre pour ne pas limiter l’imputabilité de cette perte sur ses gains.

Nous ajouterons que la combinaison de ces deux mesures, déjà critiquables prises séparément, a des effets proprement kafkaïens pour les contribuables qui, comme notre client, auraient le malheur de détenir des actions porteuses à la fois d’une plus-value en report et d’une moins-value latente. En effet, la cession de ces actions matérialisera un revenu définitif égal à la somme algébrique du gain et de la perte, alors qu’elle entrainera une imposition calculée sur une assiette faussée par l’application sélective des abattements, pratiqués sur la perte mais non sur le gain…

Lors de l’audience, nous avons eu la surprise de constater à la lecture du rôle affiché devant la salle d’audience que contrairement à ce que nous pensions, nous étions les seuls à avoir formé notre recours, qui concernaient pourtant d’autres contribuables que le petit groupe que nous représentions. Et nous en avons eu confirmation en écoutant les conclusions du Rapporteur public, qui n’a pas davantage fait état de l’existence d’autres procédures en cours tenant à la contestation des mesures litigieuses.

Si le Conseil d’Etat devait suivre les conclusions du Rapporteur Public, notre contestation devrait donner lieu, dans quelques jours, à une décision de renvoi d’une QPC devant le Conseil constitutionnel.

En effet, si nous contestions, à titre principal, les mesures litigieuses en ce qu’elles ne nous semblaient pas conforme à la lettre du texte légal, nous avions également soulevé à titre subsidiaire l’inconstitutionnalité de ce dernier.

S’agissant de la conformité de l’instruction au texte légal, le Rapporteur Public n’a pas suivi nos moyens.

Selon le Rapporteur, l’entrée en vigueur du régime d’abattement pour durée de détention au 1er janvier 2013 ferait bien obstacle à ce que des plus-values calculées avant cette date, mais taxées après celle-ci par le jeu d’un mécanisme report d’imposition, puissent bénéficier de l’abattement.

De même, la notion de « gains nets » figurant dans le texte légal prescrivant l’application des abattements auxdits « gains nets » viserait tant les gains que les pertes au vu de la jurisprudence du Conseil se rapportant déjà à cette notion, même si les détenteurs d’un dictionnaire pourraient s’en émouvoir.

De manière très intéressante, le Rapporteur Public a tout de même envisagé pendant un temps une interprétation « de compromis » du texte légal tenant à ce que l’abattement pour durée de détention doive se pratiquer, non sur les plus et moins-values prises séparément, mais sur le net résultant de la compensation des moins-values brutes et des plus-values brutes. Cette solution, qui transparaissait implicitement dans la formulation d’un moyen d’ordre public qu’envisage de soulever le Conseil d’Etat quelques jours avant l’audience, aurait de fait plusieurs avantages :

  • Elle éviterait l’imputation systématique de moins-values brutes sur des plus-values après abattement qui résulterait d’une annulation pure et simple des abattements sur moins-values et qui ne manquerait pas d’émouvoir l’administration fiscale (voire le législateur) ;
  • Pour autant, elle ne pousserait plus à la cession anticipée de titres en perte, puisque le taux de l’abattement global dépendrait uniquement de la durée de détention des titres ayant généré une plus-value ;
  • Enfin, dans un cas comme dans celui de notre client où la taxation d’une plus-value en report est corrélée à celle d’une moins-value de cession, cette solution aurait l’avantage de mettre fin à la distorsion de l’assiette fiscale par rapport au revenu réel.

Le Rapporteur Public n’a toutefois exploré cette voie que pour la rejeter, la lettre du texte légal ne laissant pas selon lui une marge d’interprétation suffisante au juge pour substituer un abattement global à des abattements calculés opération par opération. Le Conseil d’Etat pourrait toutefois ne pas suivre son Rapporteur public et en décider autrement, comme nous le laisse espérer le moyen d’ordre public qu’il envisage de soulever d’office tenant à l’incompétence du rédacteur de l’Instruction critiquée pour réduire le champ d’application de la loi.

S’agissant enfin du renvoi envisagé vers le Conseil Constitutionnel, nos moyens d’inconstitutionnalité sont loin d’avoir tous été accueillis avec entrain par le Rapporteur Public.

En effet, le Rapporteur a admis que l’application différenciée des abattements sur les gains et pertes entraînait une distorsion entre l’assiette fiscale et le revenu réel semblant peu compatible avec l’exigence constitutionnelle de prise en compte des facultés contributives. C’est la raison pour laquelle il a préconisé le renvoi d’une QPC devant le Conseil Constitutionnel.

En revanche, il n’a pas considéré que la taxation d’une plus-value au barème progressif sans correctif tenant à la durée de détention puisse en elle-même caractériser une méconnaissance des facultés contributives.

Cette position nous paraît pourtant contestable au regard de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, s’agissant tant de celle portant sur les terrains à bâtir (n° 2013-685 DC), certes cantonnée à la matière immobilière selon l’opinion du Rapporteur, que de celle relative à la première mouture de la réforme de la fiscalité des plus-values mobilières prévue par la loi de finances pour 2013, celle qui avait été modifiée par le texte actuel avant même d’entrer en vigueur.

Pour mémoire, cette première mouture avait été validée dans les termes suivants : (n° 2012-662 DC, point n° 58) : « en augmentant l’imposition pesant sur les plus-values de cession de valeurs mobilières tout en prenant en compte la durée de détention de ces valeurs mobilières pour diminuer le montant assujetti à l’impôt sur le revenu, le législateur n’a pas instauré des modalités d’imposition qui méconnaîtraient les capacités contributives des contribuables ». L’application des abattements doit donc bien être corrélée à l’application du barème progressif de l’impôt sur le revenu !

Enfin, le Rapporteur n’a pas estimé que la différence de traitement entre les détenteurs de titres issus d’échanges placés respectivement sous le régime du report d’imposition et sous le régime du sursis d’imposition caractériserait une rupture d’égalité devant les charges publiques, cette différence résultant selon lui uniquement de la succession, prévue par la loi, de deux régimes juridiques dans le temps.

Cette approche nous semble manquer de nuance puisqu’en fait de succession pure dans le temps, les deux types de titres coexistent actuellement dans l’ordre juridique et sont susceptibles d’être cédés en même temps, à des conditions fiscales favorables pour les uns et à des conditions fiscales désastreuses pour les autres.

De plus, la position du Rapporteur aurait tout aussi bien pu être retenue s’agissant de la question de la taxation des compléments de prix issus de cessions opérées avant et après 2013 et que nous évoquions dans notre précédente actualité du 18 octobre 2015 : Or, on se souviendra que le Conseil d’Etat avait au contraire précisément retenu le caractère sérieux du moyen tiré de la méconnaissance du principe d’égalité et renvoyé la QPC…

La décision sera en principe rendue dans les 15 jours de l’audience, donc nous vous donnons rendez-vous le 18 novembre pour la décision et le dimanche suivant pour nos commentaires.