Par une décision n° 390265 rendue le 12 novembre 2015 qui aura l’honneur d’être mentionnée au Recueil Lebon, le Conseil d’Etat a statué sur notre recours pour excès de pouvoir formé contre certaines dispositions de l’Instruction commentant le régime fiscal des plus-values de cession de valeurs mobilières.

Le Haut Tribunal nous a donné satisfaction sur l’application de l’abattement aux moins-values, renvoyant les concepts de « gain net négatif » et de « parallélisme des formes avec les plus-values » aux oubliettes de la fiscalité.

En revanche, il a refusé l’application de l’abattement pour durée de détention aux plus-values en report, estimant que cette exclusion dérivait directement dans la loi – ce que nous contestions – puisqu’aux termes du III de l’article 17 de la loi du 29 décembre 2013, les dispositions du 1 de l’article 150-0 D du CGI… « s’appliquent aux gains réalisés et aux distributions perçues à compter du 1er janvier 2013 ».

De manière plus surprenante, il a refusé de transmettre la Question Prioritaire de Constitutionnalité que nous avions posée sur ce texte au motif que… « la différence de traitement qui résulte de la succession de deux régimes juridiques dans le temps n’est pas, en elle-même, contraire au principe d’égalité ».

Partant, il a considéré que cette différence de traitement constituait une dérogation acceptable au principe de l’égalité puisqu’elle était conforme à l’intérêt général dès lors qu’elle était… « en rapport direct avec l’objet de la loi qui, en réservant l’application de l’abattement pour durée de détention aux cessions intervenues à compter du 1er janvier 2013, vise à encourager la détention longue de valeurs mobilières ».

Il est clair qu’avec cette décision, les contribuables qui ont le malheur de détenir des titres porteurs d’une plus-value en report vont être vivement incités à les conserver jusqu’à leur mort, puisque avec les prélèvements sociaux et la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, ils seront redevables en cas de cession d’une taxation pouvant atteindre 64,5 % ! Heureusement sur leur plus-value nette…

On sent bien qu’il y a un sophisme dans ce raisonnement et nous déplorons vivement que cette question n’ait pas, contrairement à celle relative aux compléments de prix des cessions antérieures à 2013, été transmise au Conseil Constitutionnel pour clarification. Ceci d’autant plus que comme nous l’avions rappelé dans nos écritures, le Conseil Constitutionnel n’a validé la « barèmisation » des plus-values qu’en raison de l’existence d’abattements pour durée de détention.

Ce vice de raisonnement est nous semble-t-il à rechercher dans la conception qu’a le Conseil d’Etat des plus-values en report, qu’il considère comme définitivement cristallisées lors de l’échange, alors même que le régime fiscal qui leur est applicable est celui en vigueur au jour de la cession des titres reçus en échange (CE 10 avril 2002, n° 226886, de Chaisemartin ; CE 3 décembre 2014, n° 364506, de Ganay).

Or, comment concilier la prévisibilité de la loi fiscale avec une telle incertitude ? Rappelons que lorsque les contribuables ont opté pour reporter l’imposition de leur plus-value d’échange, le taux auquel ils échappaient provisoirement s’établissait alors à 26 % et ils n’imaginaient certainement pas que 15 ans plus tard, il aurait plus que doublé !

Quoi qu’il en soit, cette décision clôt définitivement le litige que nous avions engagé et l’heure est maintenant au bilan.

Pour les contribuables ayant des plus-values en report antérieures à 2000, tout espoir n’est cependant pas perdu : en effet, en fonction de ce que dira le Conseil Constitutionnel sur la QPC relative aux compléments de prix dont il est saisi, il sera peut-être possible d’invoquer un changement de circonstances pour tenter une nouvelle saisine.

Pour les contribuables ayant réalisé des plus-values en report en 2012 sur le fondement de l’article 150-0 B ter, qui n’étaient pas directement concernés par notre recours puisque l’instruction commentant ce régime n’est toujours pas définitive et dont le projet n’était même pas encore en ligne lorsque nous l’avons déposé, la question se présente sous un angle légèrement différent. En effet, contrairement aux régimes de report de plus-values d’échange antérieurs à 2000, qui étaient optionnels, le report de leur plus-value était automatiquement applicable.

En supposant qu’ils aient eu pleinement conscience de la fiscalité applicable, ces contribuables n’ont pas pu opter pour l’imposition forfaitaire de 25 % (ou 19 % pour les entrepreneurs, montants qu’il convient toutefois de majorer des prélèvements sociaux et de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus) aux lieu et place des 45 % qui s’appliqueraient à l’avenir.

Cette absence d’option, dont on sait qu’elle fut inspirée par un désir de mise en conformité avec la directive « Fusions », pourrait alors s’avérer problématique au regard des principes d’égalité devant l’impôt et les charges publiques.

Mais pour que cette nouvelle page puisse s’écrire, encore faudrait-il que l’Instruction commentant l’article 150-0 B ter sorte du provisoire pour devenir une instruction définitive, donc attaquable devant le juge de l’excès de pouvoir, ce que l’administration nous annonce pour la fin de l’année.