On sait que la définition de l’abus de droit a été modifiée législativement fin 2008 (article 35 de la loi n° 2008-1444 du 30 décembre 2008) pour faire suite à la jurisprudence Janfin (CE 27 septembre 2006, n° 260050) qui a sanctionné la fraude à la loi consistant à utiliser un texte en l’interprétant littéralement dans un but contraire à celui de ses auteurs.

Cette notion de texte avait à l’époque fait couler beaucoup d’encre car l’administration a considéré que parmi les textes « abusables » figurait la doctrine administrative lorsqu’elle ne se contentait pas de commenter la norme, mais l’interprétait de manière favorable au contribuable dès lors que ce dernier pouvait lui opposer son interprétation sur le fondement de l’article L 80 A du LPF (Inst. 9 septembre 2010, 13 L-9-10, n° 15 et 16, reprise au BOI-CF-IOR-30, n° 80 à 110, 24 novembre 2014).

Elle espérait ainsi gagner le « match retour » dont elle avait perdu la première manche dans l’affaire dite des « fonds turbos », où la jurisprudence avait considéré que la doctrine administrative n’étant pas du droit au sens d’une norme s’imposant à tous, sauf à l’administration lorsque les conditions de l’article L 80 A étaient remplies, il n’était pas possible d’en abuser (Avis CE 8 avril 1998, n° 192539, Ass.).

Malheureusement pour elle, cette partie ne se présente pas très bien, le contribuable venant de marquer un but grâce au Comité de l’Abus de Droit Fiscal.

Dans deux affaires n° 2015-07 et 2015-09 (qui constituent en réalité un cas unique), le Comité a refusé de sanctionner des contribuables qui avaient appliqué l’abattement de 75 % prévu par l’article 787 B du CGI (régime dit « Dutreil transmission ») sur la valeur des parts d’une société ayant pour activité la location de locaux d’habitation meublés et de locaux commerciaux nus qu’ils avaient transmises à leurs enfants.

Pour cela, il constate que si cette opération n’entrait pas dans le champ du régime de faveur, la doctrine administrative admettait expressément l’application de l’abattement dans cette hypothèse.

Il constate également que si l’article L 80 A du LPF interdisait à l’administration de redresser cette opération, l’invocation de l’existence d’un abus de droit visait à lui permettre de contourner cette interdiction.

C’est ce détournement de texte que le Comité sanctionne : lorsque les conditions de la doctrine sont respectées, la garantie protège le contribuable car contrairement à une loi ou un décret, elle n’a pas d’âme car ses auteurs n’ont pas d’intention dont le contribuable serait averti.

Cette décision ne peut être qu’approuvée. Donner satisfaction à l’administration aurait introduit une bonne dose d’arbitraire qui aurait été parfaitement contraire à la Garantie des Droits protégée par l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, donc à notre Constitution. En appliquant littéralement la doctrine dont il ignore l’intention de ses rédacteurs, le contribuable bénéficie d’une espérance légitime que l’administration ne viendra pas remettre en cause l’application de sa propre doctrine.

Mais la partie n’est pas terminée : mauvaise perdante, l’administration a refusé de s’incliner et poursuivra le contentieux. Il faut dire que la position du Comité peut avoir un impact très lourd pour les finances publiques, comme l’affaire des fonds turbos l’avait illustré en son temps : la Cour des Comptes par qui le scandale était arrivé avait chiffré en 1989 le coût budgétaire du détournement de la doctrine à 5 milliards de francs. En euro cela ne fait pas grand chose (environ 760 millions), mais à l’époque c’était une somme colossale. Sans parler du message envoyé aux contribuables et leurs conseils : il est moins risqué d’appliquer littéralement une doctrine administrative qu’une loi, puisque l’article L 80 A vous met à l’abri de tout redressement, y compris quand cette application défie non seulement le bon sens, mais l’esprit de la loi qu’elle interprète.

Il n’est pas sûr que l’entêtement de l’administration s’avère payant, tant le principe appliqué en creux par le Comité est élevé dans la hiérarchie des normes. Mais compte tenu des enjeux, la partie devrait durer encore longtemps. Affaire à suivre.