La Commission Internationale de l’IACF organisait le 23 juin 2016 une conférence sur Les Nouvelles Règles Anti-Abus. Pour le compte de la Commission Fiscalité du Patrimoine, Marc Bornhauser y traitait la partie consacrée à la nouvelle clause anti-abus en matière de flux de dividendes.

On se souvient en effet que lors de l’introduction de cette nouvelle clause imposée par la Directive n°2015/121, le Rapporteur Général du Budget avait déclaré que le Gouvernement lui avait indiqué que… « la clause vise aussi à écarter les montages artificiels. Tel est le cas des montages impliquant une société holding n’ayant comme seule et unique activité que de détenir des actions ».

Or, le champ d’application de cette clause n’étant depuis le 1er janvier 2016 plus limité à la retenue à la source sur les dividendes distribués à une société européenne, mais couvrant également l’exonération d’impôt des dividendes perçus dans le cadre du régime mère-fille (article 146-6 k du CGI), nombreux sont les contribuables concernés qui se sont demandés s’il était toujours possible d’utiliser la société holding patrimoniale passive pour optimiser leur fiscalité personnelle.

Rappelons en effet que le fait d’apporter une participation dans une société soumise à l’impôt sur les sociétés, opération qui s’effectue en franchise d’impôt sur la plus-value grâce à l’article 150-0B ter du CGI, permet à l’apporteur d’optimiser son propre impôt sur le revenu sur les dividendes perçus en différant leur redistribution, donc la date de leur imposition, voire en les soumettant au régime des plus-values s’il procède ultérieurement au rachat de ses propres titres par la société holding suivie d’une réduction de capital. La technique dite de « l’encapsulage » des dividendes au sein d’une société holding permet également d’optimiser le plafonnement de l’ISF du contribuable en sortant les dividendes de son revenu à prendre en compte pour l’application de l’article 885 V bis du CGI.

Or, si l’administration peut invoquer l’existence d’un quelconque abus – et pas seulement l’existence d’un abus de droit puisque l’article 119 ter 3 est selon le Conseil Constitutionnel un texte d’assiette (en ce sens, décision n° 2015-726 DC) – pour contester l’application du régime mère-fille aux dividendes perçus par la société holding, force est de constater que ces stratégies patrimoniales pourtant classiques perdront tout intérêt.

Il faut reconnaître que lorsque l’on lit le texte de l’article 119 ter 3, on comprend les inquiétudes qu’il suscite. Qu’on en juge :

« L’article 119 ter 1 ne s’applique pas aux dividendes distribués dans le cadre d’un montage ou d’une série de montages qui, ayant été mis en place pour obtenir, à titre d’objectif principal ou au titre d’un des objectifs principaux, un avantage fiscal allant à l’encontre de l’objet ou de la finalité de ce même 1, n’est pas authentique compte tenu de l’ensemble des faits et circonstances pertinents. 

Un montage peut comprendre plusieurs étapes ou parties.

Pour l’application du présent 3, un montage ou une série de montages est considéré comme non authentique dans la mesure où ce montage ou cette série de montages n’est pas mis en place pour des motifs commerciaux valables qui reflètent la réalité économique ».

La lecture de ce texte – qui ne rappelle la prose de Bossuet que de manière très lointaine – soulève en effet de multiples interrogations :

  • Qu’est-ce qu’un montage non authentique ?
  • Quand est-il motivé principalement par un but fiscal ?
  • Quels motifs valables peuvent être invoqués pour que la clause anti-abus ne joue pas ?

Après avoir rappelé que ce texte devait nécessairement être interprété à l’aulne des principes fixés par la jurisprudence de la CJUE et expliquer comment ces principes s’appliquent, Marc Bornhauser a présenté les différentes thèses en présence.

La première – et la moins subjective – appliquerait purement et simplement la jurisprudence Halifax (CJUE 21 février 2006, aff. C-255/02) et Caldbury Schweppes (CJUE 12 juin 2006, aff. C-196/04). Elle consisterait à considérer que la réalité économique serait le contraire de ce qui est artificiel, dépourvu de toute substance, qui ne reflète pas la réalité. Bref, de revenir à notre bon vieil abus de droit.

C’est toutefois une thèse difficile à soutenir car il faudrait admettre que le double emploi du terme « économique » serait totalement dénué de portée, ce qui est difficilement défendable.

On aurait néanmoins tort de la balayer d’un revers de main pour autant. En effet, le rapport de la Commission des finances de l’Assemblée nationale (deuxième lecture) apporte la précision suivante : la référence aux « motifs commerciaux valables » doit être entendue de manière identique aux « motifs économiques valables issus de la directive sur les fusions transfrontalières des sociétés de capitaux ». Lorsque le juge recherchera l’intention du législateur pour éclairer le texte, il pourra s’appuyer sur cette précision pour les besoins de son interprétation et celle-ci pourrait bien le conduire dans les traces de la CJUE version Halifax et Caldbury Schweppes.

Le seconde thèse, à l’opposé du spectre, considère qu’il faudrait des motifs économiques de structuration d’un groupe économique, ce qui exclurait les sociétés holdings qui ne s’impliqueraient pas dans la gestion de leurs filiales opérationnelles.

Toutefois, l’exigence qu’elle pose dépasse très probablement l’intention des auteurs du texte. De plus, elle pourrait aboutir à une hétérotélie, c’est-à-dire à un résultat contraire au but recherché : la fuite des holdings passives vers des Etats plus « compréhensifs », y compris hors d’Europe (en particulier la Suisse).

Une troisième thèse, celle du juste milieu, a sa préférence. Elle est, fort heureusement, celle de l’administration, qui vient de préciser que… « sont donc susceptibles d’être considérées comme présentant des motifs valables au sens de la clause des structures de détention patrimoniale, d’activités financières ou encore des structures répondant à un objectif organisationnel » (BOI-IS-BASE-10-10-10-10, n° 220). Le soulagement éprouvé à sa lecture ne doit néanmoins pas nous faire oublier que cette position rassurante ne pourra pas être invoquée au contentieux par un contribuable sur le fondement de l’article L 80 A du LPF pour faire échec à un redressement.

Cette thèse permet la prise en compte des motifs patrimoniaux : faire détenir une participation dans une société par une société holding permet d’éviter la dispersion des titres et/ou une future indivision, ce qui facilite la transmission, la mise en place d’une bonne gouvernance familiale, etc.

Les autres conséquences de la création d’une holding patrimoniale (l’encapsulage des dividendes permettant de mieux gérer les flux de dividendes et/ou le plafonnement de l’ISF) sont finalement assez subsidiaires, même si elles peuvent être importantes. Et chaque effet fiscal favorable pour le contribuable a aussi un impact économique favorable en accord avec le but de la Directive. Exemple : si l’encapsulage permet de différer l’impôt sur le revenu, il permet aussi de maximiser le réinvestissement des dividendes entrants.

Du point de vue de la fiscalité des dividendes, on peut par ailleurs remarquer que l’interposition d’une structure renchérit le coût des flux (quote-part de frais et charges dividendes et plus-values).

On peut enfin noter que la clause ne visant qu’à la défense des avantages prévus par la directive, il ne peut donc s’agir d’un avantage fiscal qui ne résulte pas de la disposition en cause.

Cette hypothèse est illustrée par l’affaire Modehuis A. Zwijnenburg BV (CJUE, 20 mai 2010, aff. C-352/08). La Cour y juge que le régime de faveur que la directive fusions instaure ne saurait être refusé à un contribuable qui a envisagé, par un montage juridique comprenant une fusion d’entreprises, de prévenir le prélèvement des droits de mutation, dès lors que cet impôt ne relève pas du champ d’application de ladite directive. Pour le dire autrement, si l’avantage fiscal recherché ne résulte pas de la directive en cause mais d’un autre texte, alors la condition n’est pas satisfaite.

Or, dans les stratégies patrimoniales faisant intervenir une holding patrimoniale passive, ce n’est pas le régime mère-fille qui est recherché, mais un avantage en matière d’impôt sur le revenu, sur la fortune ou de droits de mutation à titre gratuit.

Marc Bornhauser a conclu que tous ces arguments – mais surtout le dernier – militaient clairement en faveur du maintien des stratégies patrimoniales fondées sur l’utilisation d’une holding patrimoniale passive.