Par une décision n° 2016-744 DC du 29 décembre 2016, le Conseil Constitutionnel a validé l’article 4 du projet de loi de finances pour 2017, devenu l’article 7 de la loi, qui autorise l’administration à intégrer, à l’issue d’une procédure très proche de celle réprimant l’abus de droit fiscal, les revenus latents perçus par une structure soumise à l’impôt sur les sociétés que le contribuable aurait constituée dans le but principal de bénéficier des dispositions de l’article 885 V bis du CGI permettant le plafonnement de son ISF lorsqu’il dépasse 75 % de ses revenus de l’année précédente.

Le Conseil a donc écarté l’argument des députés selon lequel ce texte violerait l’autorité de la chose jugée par les décisions du 29 décembre 2012 et du 29 décembre 2013 relatives aux revenus à prendre en compte dans le plafonnement et au champ d’application de l’abus de droit.

On se souvient qu’en 2012 le Conseil avait alors estimé qu’en intégrant dans le calcul du plafonnement des sommes qui ne correspondent pas à des bénéfices ou des revenus que le contribuable a réalisés ou dont il a disposé au cours de la même année, le législateur avait violé le principe de prise en compte des facultés contributives du contribuable (considérant 95) et qu’en 2013, il a jugé que l’abus de droit ne pouvait pas sanctionner un but « principalement » fiscal.

Le Conseil considère toutefois que le texte a une finalité différente de celui de 2012 puisqu’il vise à éviter « certains détournements » (considérant 18). Quant au but principalement fiscal, il est accepté dès lors qu’il s’agit d’un texte d’assiette, non assorti de pénalités automatiques, contrairement à l’abus de droit de l’article L 64 du LPF. La jurisprudence rendue sur la clause anti-abus de la Directive « Distributions » (n° 2015-726 DC du 29 décembre 2015) est donc confirmée.

Il nous semble pour le moins curieux de refuser l’autorité de la chose jugée en invoquant l’objet répressif du texte pour immédiatement après lui dénier cet aspect répressif en le qualifiant de texte d’assiette. Il y a là une contradiction que le Conseil surmonte de manière à notre sens purement théorique : on sait bien sur le terrain que quand l’administration applique un texte anti-abus, comme peuvent l’être les articles 123 bis, 209 B, 155 A du CGI, elle assortit quasi-systématiquement son redressement des pénalités pour manquement délibéré.

Le Conseil écarte par ailleurs comme infondé le grief de rupture de l’égalité devant les charges publiques en estimant que le texte présente suffisamment de garde-fous : nécessité que l’administration démontre le but principalement fiscal du schéma, nécessité que le contribuable concerné contrôle la société capitalisante, réintégration limitée à la diminution artificielle des revenus.

Même s’il n’a pas été soulevé par les parlementaires, nous savons que le Conseil a également été interrogé sur le grief tiré de l’incompétence négative du législateur, les critères rappelés ci-dessus n’ayant pas été définis de manière suffisamment précise.

Le Conseil répond indirectement à cette critique en édictant une importante réserve d’interprétation : ce texte ne pourra être appliqué par l’administration que si elle… « démontre que les dépenses ou les revenus du contribuable sont, au cours de l’année de référence du plafonnement et à hauteur de cette réintégration, assurés, directement ou indirectement, par cette société de manière artificielle ».

Traduit en langage profane, ne nous paraissent donc susceptibles d’encourir les foudres de ce texte que les contribuables qui financent leur train de vie grâce à des prêts consentis soit directement par leur société capitalisante, soit par des tiers (banques) à qui ils donnent en garantie les titres de cette société ou, lorsque c’est possible, les actifs qu’elle possède.

Nous ne sommes pas certain que ce soient seulement ces situations caricaturales, qui pouvaient d’ailleurs déjà parfaitement être combattues sur le fondement de l’abus de droit fiscal, que l’administration avait dans son collimateur lorsqu’elle a présenté aux parlementaires son projet de texte.

Grâce au Conseil Constitutionnel, ce texte, qui a beaucoup ému les contribuables qui bénéficient du plafonnement de l’ISF en fonction de leurs revenus et leurs conseils, ne sera qu’un tigre de papier qui ne permettra certainement pas d’améliorer le rendement de l’ISF, ou alors de manière très marginale. Et encore, seulement si cet impôt survit aux prochaines échéances électorales…