Pacte Dutreil transmission : l’administration durcit les conditions d’une donation sous un engagement réputé acquis.
On sait que la mécanique du pacte Dutreil nécessite d’une part un engagement collectif de deux ans, d’autre part un engagement individuel du bénéficiaire de la transmission à titre gratuit de quatre ans.
Toutefois, si le délai minimum d’engagement exigé des parties à l’opération est de six ans, il peut être réduit en cas d’engagement réputé acquis. En effet, afin de ne pas pénaliser les héritiers d’entrepreneurs imprévoyants ou décédés de manière accidentelle, le législateur leur permet de réputer acquis un engagement de conservation collectif que n’a par définition pas pris le défunt si ce dernier détenait ses titres depuis au moins deux ans.
Cela dit, le champ d’application de l’engagement réputé acquis ne se limitant pas aux seules transmissions par décès, certains praticiens se sont avisés qu’en recourant à un engagement réputé acquis plutôt qu’en signant un engagement collectif avant de faire la donation, les donataires allaient bénéficier d’une réduction de leur délai de conservation de six ans (engagement collectif + engagement individuel) à quatre ans.
Par une réponse ministérielle Moreau n° 99759 du 7 mars 2017 (JO AN, Questions, p.1983), l’administration vient de préciser que l’engagement réputé acquis, pour être valablement invoqué, nécessitait que l’un des donataires exerce effectivement son activité professionnelle principale ou l’une des fonctions de direction éligibles lorsque la société est soumise à l’impôt sur les sociétés.
Il est vrai que que la rédaction de l’article 787 B d) du CGI qui concerne l’exercice de la fonction de direction après la transmission vise… « l’un des associés mentionnés au a) ou l’un des héritiers, donataires ou légataires mentionnés au c) ». Or, l’engagement réputé acquis est, lui, seulement visé au b) du même article.
Cela dit, la doctrine majoritaire considérait qu’il s’agissait d’une simple erreur rédactionnelle due à l’empilement des textes à laquelle il ne convenait pas d’accorder de portée pratique, d’autant plus que rien dans les travaux préparatoires ni dans aucun commentaire de l’administration fiscale ne venait accréditer l’interprétation contraire. Il s’est néanmoins trouvé quelqu’un de suffisamment inquiet face à cette incertitude pour faire poser une question au ministre par un député.
C’est hélas chose faite avec la réponse Moreau, qui illustre bien la règle qu’on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment !
Que penser de cette réponse ?
A supposer qu’elle soit justifiée par la lettre du texte, ce qui n’est en soi pas évident tant les modifications successives du régime « Dutreil » ont abouti à un millefeuille législatif relativement indigeste, elle soulève une réelle difficulté : si l’on comprend bien que le recours à la fiction de l’engagement réputé acquis en matière de donation a permis de réduire les délais de conservation des titres transmis à quatre ans et que ceci ne correspondait peut-être pas de manière évidente à l’intention du législateur, force est de constater que cette technique est aussi un passage obligé pour les contribuables qui souhaitent transmettre une société unipersonnelle dont ils ne peuvent par définition pas placer les titres dans un engagement collectif.
Or, en exigeant, contrairement aux transmissions dans le cadre d’un engagement collectif de conservation, que l’un des donataires exerce une fonction de direction éligible dans la société transmise, la loi ajoute une condition supplémentaire qui crée mécaniquement une différence de traitement dont la rationalité n’apparaît pas évidente. A ce titre, cette interprétation pourrait être contraire aux principes d’égalité devant l’impôt et les charges publiques garantis par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.
Par ailleurs, se pose la question des donations faites avant la publication de cette réponse. On peut espérer que l’administration ne cherchera pas à faire une application rétroactive de cette nouvelle doctrine tant qu’elle n’aura pas été reprise au Bofip et que l’occasion aura ainsi été donnée aux contribuables concernés de l’attaquer dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir couplé avec une QPC devant le Conseil d’Etat.
Si toutefois elle le faisait, elle ne pourrait à notre avis redresser que les opérations réalisées depuis le 1er janvier 2014. En effet, la prescription courte nous semble la seule applicable dès lors que l’acte de donation a nécessairement été enregistré et que parmi les informations mentionnées dessus figuraient les fonctions exercées par le donateur. Elle avait ainsi depuis l’origine tous les éléments pour vérifier, sans avoir à mener de recherche complémentaire, que les conditions d’application du texte étaient bien remplies.
Quoi qu’il en soit, cette réponse ministérielle est en train de faire un sacré boucan dans le Landerneau fiscal !