Haro sur le PUMA
Certains contribuables ont eu la désagréable surprise de recevoir à la fin de l’année dernière une lettre de l’URSSAF leur demandant d’avoir l’amabilité de bien vouloir régler dans les 30 jours leur « Cotisation Maladie Subsidiaire » (CMS) d’un montant égal à 8 % de leurs revenus patrimoniaux.
Pour comprendre ce qui leur est arrivé, il convient de rappeler que la CMS est une création de l’article 32 la loi du 21 décembre 2015 de financement de la sécurité sociale pour 2016. La CMS remplace la CMU-b (couverture maladie universelle de base) à l’article L 380-2 du Code de la Sécurité Sociale. La CMS est entrée en vigueur sans être soumise à la critique du Conseil Constitutionnel qui s’est pourtant prononcé (DC 17 Décembre 2015, n°2015-723) sur d’autres dispositions de la même loi, en particulier sur l’article 59 instituant la PUMA (Protection universelle maladie). La PUMA et la CMS sont liés par l’intention commune de leurs concepteurs : « simplifier la vie des assurés sociaux » (Rapport au Sénat).
La PUMA garantit à toute personne qui travaille ou réside en France de manière stable et régulière un droit à la prise en charge de ses frais de santé à titre personnel tout au long de la vie. Seules les indemnités journalières demeurent régies par les règles propres à chaque régime. Toutefois, dans l’esprit du législateur, la PUMA ne crée pas de charge nouvelle par rapport à la CMU. Elle supprime simplement l’inconvénient pour les assurés sociaux de fournir des justificatifs qualifié au cours des débats de « fastidieux » aux caisses de sécurité sociale, qui n’en demanderont plus.
La CMS est créée dans le même esprit de simplification. Il ne s’agit pas de lever des ressources nouvelles, il n’en est jamais question au cours des débats ou dans les rapports. La CMS ne constitue qu’une « adaptation » de la CMU-b, adaptation presque esthétique puisqu’il est question à son propos d’ « architecture ».
Comme l’écrit avec son style inimitable le rapport d’évaluation au Parlement :
« Le maintien des dispositions actuelles conduirait à concilier une architecture financière segmentée et des droits maladie totalement universalisés. Or, comme a eu l’occasion de le rappeler notamment le HCFiPS dans ses travaux, la mise en cohérence d’un corpus édictant la nature des droits ouverts aux assurés et d’une organisation financière adaptée permettant de les couvrir est à la base de la construction de la sécurité sociale et de ses modes de régulation ».
Dès lors, et on en martèle l’idée tout au long de la procédure parlementaire, la CMS ne constitue qu’une « adaptation à la marge » (sic) de la CMU-b. Dès l’abord, le projet de loi de insiste sur la neutralité supposée de ces nouvelles mesures (se trouvant alors à l’article 20) par rapport au droit existant :
« L’article tire enfin les conséquences de l’absorption du dispositif de la couverture maladie universelle de base (CMU-b), qui avait un caractère subsidiaire, sur la définition de la cotisation des personnes qui sont affiliées au titre de leur résidence régulière en France, sans modifier toutefois les paramètres de l’actuelle cotisation versée par certains bénéficiaires de la CMU-b ».
Le rapport d’évaluation insiste : « Les règles d’assujettissement feront l’objet d’adaptations à la marge » (annexe 10 p 127). Le Rapport d’information de la Commission des affaires sociales de l’Assemblée Nationale évoque pour sa part… « une adaptation des conditions d’assujettissement aux cotisations d’assurance maladie dues à côté des cotisations ordinaires assises sur les revenus d’activité et de remplacement » (p 20).
Le premier alinéa de l’article L. 380-2 était relatif à la fixation du taux de la cotisation annuelle des personnes relevant de la CMU-b. Il pose maintenant le principe que sont redevables de la CMS toutes les personnes dont les revenus ou ceux de leurs conjoints ou partenaires de Pacs sont inférieurs à un seuil fixé par décret. Ce seuil est celui fixé antérieurement comme plafond pour le bénéfice de la CMU de base, à savoir 10 % du plafond de la sécurité sociale. Cette fausse cohérence conduit à retenir un seuil de 3.861 euros en 2016. Sont exclues de l’obligation de cotisation les personnes ayant perçu une pension de retraite, une rente ou un montant d’allocation chômage au cours de l’année, ainsi que les étudiants.
Le 2° alinéa précise les différents types de revenus sur lesquels est assise la cotisation. : montant des revenus fonciers, de capitaux mobiliers, des plus-values de cession à titre onéreux de biens ou de droits de toute nature, des BIC et BNC non professionnels et des BNC, définis selon les modalités fixées au IV de l’article 1417 du code général des impôts, qui dépasse un plafond fixé par décret (9.800 € en 2017).
Comme on le sait , tous ces revenus ont déjà été assujettis à la CSG. Selon le 3° alinéa, le taux de cotisation est réduit pour les personnes ayant des revenus compris entre 50 et 100 % du seuil fixé par décret. Le taux de cotisation croît progressivement.
Cette cotisation nous semble pouvoir être contestée par ceux qui y sont assujettis en invoquant la violation d’un certain nombre de normes supérieures.
Le premier moyen de défense consisterait à invoquer une violation du principe d’égalité par défaut de respect du principe de rationalité.
Pour assurer le respect du principe d’égalité, le législateur doit fonder son appréciation sur des critères rationnels en fonction des buts qu’il se propose (Décision n° 2013-666 DC du 11 avril 2013). L’article L 380-2 nous paraît ignorer de tels critères.
Le but proclamé par le législateur était d’ « adapter à la marge les conditions d’assujettissement aux cotisations d’assurance maladie dues à côté des cotisations ordinaires assises sur les revenus d’activité et de remplacement. Ayant eu à statuer sur des dispositions antérieures de l’article L 380-2, le Conseil Constitutionnel avait précisé que le but du législateur avait été « de réduire les disparités de traitement en matière de protection sociale » ( Comité de défense des travailleurs frontaliers du Haut Rhin, QPC n°2015-460 du 26 Mars 2015). Cette décision avait admis que les différences d’assiette des cotisations entre les différents régimes reposaient « sur des critères objectifs et rationnels en lien avec l’objet des cotisations d’assurance maladie » au regard de l’objectif poursuivis :
« Le législateur s’est fondé sur la différence de situation entre les personnes qui sont affiliées au régime général d’assurance maladie au titre de leur activité salariée en France, et pour lesquelles sont recouvrées à la fois une cotisation salariale et une cotisation patronale, et les personnes qui sont affiliées au régime général d’assurance maladie au titre de leur résidence en France, pour lesquelles une seule cotisation est recouvrée directement auprès de l’assuré ».
Or, une telle rationalité est complètement absente de la loi nouvelle. Qu’on en juge : un assuré social bénéficiant d’un salaire annuel de 4.000 € et de 1.000.000 € de revenus autres génère une cotisation de 520 € (hors CSG), alors qu’un assuré social bénéficiant d’un salaire annuel de 3.900 € et de 100.000 € de revenus génère une cotisation de 507 € + 8.000 € = 8.507 € ( hors CSG), soit une cotisation 16 fois supérieure pour un revenu 10 fois inférieur.
Le Conseil Constitutionnel a déjà eu à statuer sur de tels errements du législateur, également à propos de cotisations sociales d’assurance maladie mais concernant alors le régime spécifique des salariés agricoles (Décision n° 2014-698 DC du 6 août 2014 – Loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014) :
« Le législateur a, aux fins d’augmenter le pouvoir d’achat des salariés dont la rémunération est modeste, institué une réduction dégressive des cotisations salariales (…) dans le même temps, il a maintenu inchangés, pour tous les salariés, l’assiette de ces cotisations ainsi que les prestations et avantages auxquels ces cotisations ouvrent droit ; qu’ainsi, un même régime de sécurité sociale continuerait, en application des dispositions contestées, à financer, pour l’ensemble de ses assurés, les mêmes prestations malgré l’absence de versement, par près d’un tiers de ceux-ci, de la totalité des cotisations salariales ouvrant droit aux prestations servies par ce régime ; que, dès lors, le législateur a institué une différence de traitement, qui ne repose pas sur une différence de situation entre les assurés d’un même régime de sécurité sociale, sans rapport avec l’objet des cotisations salariales de sécurité sociale ; qu’il résulte de ce qui pré
cède que les dispositions de l’article 1er de la loi déférée, qui méconnaissent le principe d’égalité, doivent être déclarées contraires à la Constitution »
Une seconde violation du principe d’égalité nous parait résulter du défaut de respect des objectifs du législateur.
Selon le Conseil Constitutionnel, « le principe d’égalité ne fait pas obstacle à ce que soient établies des impositions spécifiques ayant pour objet d’inciter les redevables à adopter des comportements conformes à des objectifs d’intérêt général, pourvu que les règles qu’il fixe à cet effet soient justifiées au regard desdits objectifs ».
Or, l’article 32 la loi du 21 décembre 2015 n’a pas pour objet de lutter contre l’oisiveté.
Au contraire, la loi marque une forme de compassion à l’égard de ceux qui sont éloignés de l’emploi et pour lesquels il est apparu nécessaire d’alléger le fardeau bureaucratique permettant d’accéder à la couverture universelle. La loi ne peut donc avoir pour effet légitime de stigmatiser et punir le comportement des inactifs ou des peu actifs, ni des assurés sociaux qui, par suite de déconvenues, ne sont pas parvenus à accumuler dans l’année un revenu professionnel supérieur à 3.861 Euros.
Cet objectif auquel la loi aboutit évince celui seul qui en constituait la légitimité.
Une troisième violation du principe d’égalité résulterait de la rupture provoquée par un effet de seuil excessif.
Le législateur ne doit pas seulement, pour se conformer au principe d’égalité, fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu’il se propose. Il doit aussi veiller à ce que son appréciation n’entraine pas de rupture caractérisée devant les charges publiques. L’article 32 de la loi ne respecte pas non plus cette contrainte puisqu’il permet à des personnes qui cotisent faiblement au régime d’assurance maladie à raison de leur revenu d’activité d’être exonérés de l’assujettissement à la CMS. Le législateur a ainsi, au sein de la population des assurés sociaux titulaires d’un revenu d’activité de faible montant, créé par un effet de seuil excessif une rupture caractérisé, la charge de la cotisation pesant exclusivement sur les assurés se trouvant en dessous de ce seuil. Cette inégalité injustifiable s’ajoute à celle créée entre titulaires et non titulaires d’un revenu d’activité.
Certes, il est loisible au législateur d’alléger ou de supprimer une charge en instituant une exception pour une catégorie de citoyens. Mais pour que cette exception ne soit pas qualifiée de rupture d’égalité devant les charges publiques, il faut qu’elle se justifie par des considérations objectives en lien avec la loi. Par exemple, le Conseil Constitutionnel n’a pas admis que le législateur ait réduit l’assiette de la CSG en faveur des contribuables les plus modestes sans tenir compte ni des revenus du contribuable autres que ceux tirés d’une activité, ni des revenus des autres membres du foyer, ni des personnes à charge (Décision n°2000-437 DC du 19 Décembre 2000, loi de financement de la sécurité sociale pour 2001).
La création de la CMS repose sur l’idée que les personnes qui ne bénéficient pas de revenus d’activité doivent autrement contribuer au financement de l’assurance maladie et on comprend que pour le législateur cette contribution est jugée suffisante lorsque le revenu d’activité atteint le seuil fatidique des 3.861 Euros. Mais certains de ces assurés n’en contribuent pas moins au financement de l’assurance maladie puisqu’ils sont redevables de la CSG sur leurs autres revenus. Il y avait là une mesure objective, en rapport avec l’objet de la loi, que le législateur aurait dû considérer pour déterminer la juste répartition du fardeau de la CMS entre titulaires de faibles revenus d’activité.
Cette contribution semble également entraîner une violation du principe d’égale répartition de la contribution commune.
Selon la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, il appartient au législateur, lorsqu’il établit une imposition, d’en déterminer librement l’assiette et le taux, sous réserve du respect des principes et des règles de valeur constitutionnelle et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt. « Cette exigence ne serait pas respectée si l’impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives ».
Pour apprécier le respect du principe d’égalité devant les charges publiques, le Conseil Constitutionnel a posé le principe qu’il faut prendre en considération « l’ensemble des impositions pesant sur le même revenu et acquittées par le même contribuable » ( CC n°2015-473, QPC 26 Juin 2015).
Il en est de même pour apprécier si la contribution est confiscatoire : « L’appréciation du caractère confiscatoire de la contribution (…) s’opère en rapportant le total des impositions que l’employeur doit acquitter à la somme de ce total et des rentes versées » ( CC 26 Juin 2015, op cit).
Le cumul des prélèvements sociaux (17,2 % à compter de 2017), de l’impôt sur les revenus fonciers (plus haute tranche du barème : 45 %), de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (4 %) et de la CMS, soit un total de 74,2 %, pourrait être considéré comme une charge excessive. Elle pourrait même être qualifiée de confiscatoire. Le Conseil Constitutionnel en a ainsi jugé à propos de la contribution additionnelle devant être acquittée en cas de paiement de certaines rentes de retraite, usuellement dénommées « retraites chapeaux » ( Décision n°2015-498 QPC du 20 Novembre 2015). En l’espèce, la fraction marginale de ces rentes était susceptible d’être taxée au taux maximal de 75,34% .
Enfin, l’assuré social se trouve contraint, pour éviter l’assujettissement à une cotisation excessive, de rechercher et accepter toute activité lui permettant d’atteindre les 3.861 €.
Or, selon le 2 de l’article 4 de la Convention européenne des droits de l’homme, « nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire » La Cour considère que l’expression « travail forcé ou obligatoire » désigne « tout travail ou service exigé d’un individu sous la menace d’une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s’est pas offert de son plein gré. » Si l’on considère que la CMS revêt en fait un caractère coercitif visant à réprimer les oisifs, la CEDH pourrait considérer qu’il s’agit bien d’une « peine ». Et elle a déjà admis qu’une peine pouvait ne pas résulter d’un texte pénal, une majoration d’impôt constituant une peine (CEDH Jussila c/ Finlande, n° 7053/01).
En conclusion, le combat qui s’engage contre la CMS risque de durer longtemps, car seules les normes supérieures pourraient sauver les contribuables que l’insuffisance de leurs revenus d’activité ou le fait qu’ils vivent de leurs rentes ont placé dans le champ de cette cotisation.