On se souvient que le tribunal administratif de Melun avait rendu l’an dernier plusieurs décisions que nous avions trouvées très critiquables ( https://blog.bornhauser-avocats.fr/index.php/2020/01/15/plus-values-immobilieres-des-residents-belges-deux-jugements-inquietants-du-tribunal-administratif-de-montreuil/).


L’avocat en charge de ces litiges a eu l’idée astucieuse d’accélérer ses contentieux en attaquant directement devant le Conseil d’Etat, par la voie d’un Recours pour Excès de Pouvoir, l’instruction administrative ayant considéré que les plus-values de cession de titres des sociétés à prépondérance immobilières non transparentes étaient imposables en France. Plus précisément, il demandait l’annulation des mots « ainsi qu’aux droits détenus dans des sociétés civiles immobilières de toute nature non régies par l’article 1655 ter du CGI et dont le patrimoine est composé essentiellement par des immeubles autres que des terrains à usage agricole ou forestier ».


Par une décision n° 436392 du 24 février 2020 rendue aux conclusions de Karin Ciavaldini, les 8ème et 3ème chambres du Conseil d’Etat lui donnent tort et valident l’instruction.


Pour parvenir à cette décision surprenante, les Hauts Magistrats commencent par rappeler que « pour déterminer la notion de bien immobilier au sens (…) de la convention du 10 mars 1964, il convient(…) de se référer aux lois de l’Etat contractant où le bien est situé et, ainsi qu’il est prévu à l’article 22, de retenir, à moins que le contexte n’exige une autre l’interprétation, la signification que lui attribue la législation régissant, dans chaque Etat contractant, les impôts faisant l’objet de la convention ».


Or, l’article 244 bis A du CGI s’applique aux plus-values que les non-résidents réalisent lorsqu’ils cèdent des parts « dans des sociétés ou organismes, quelle qu’en soit la forme, dont l’actif est principalement constitué, directement ou indirectement, de biens et droits immobiliers. La loi fiscale assimile ainsi à des biens immobiliers, notamment, les parts des sociétés civiles à prépondérance immobilière ».


La conclusion tombe, implacable : l’instruction administrative « n’a pas retenu une inexacte interprétation » de la Convention.


Dire que nous trouvons cette décision décevante relève de la litote. De notre point de vue, cet arrêt constitue une véritable révolution dans la manière d’interpréter et d’appliquer les accords internationaux et il y a peu de chances que les Etats étrangers avec lesquels la France est liée par des traités la jugent positive.


En premier lieu, le Conseil d’Etat qualifie une notion juridique en fonction de son régime fiscal. Or, lorsque la Convention renvoie au droit, c’est au droit civil, car c’est ce droit qui définit les concepts utilisés. Ce n’est qu’à titre subsidiaire que la signification de la notion doit être comprise en utilisant les concepts du droit fiscal.


L’exemple typique de cet exercice nous est donné par les sociétés transparentes de l’article 1655 ter du CGI, qui sont d’ailleurs visées expressément, mais de manière surabondante selon le Conseil d’Etat – que nous approuvons sur ce point – par le Protocole à la Convention. Ce sont des sociétés au sens du droit civil mais le droit fiscal les répute inexistantes. Partant, elles constituent des immeubles pour l’application de la Convention.


Mais tel n’est pas le cas des sociétés relevant de l’article 8 du CGI, qui ne sont pas transparentes mais simplement translucides : elles ont une personnalité fiscale, même si elles transmettent leur résultat à leurs associés aux fins d’imposition. Les cessions de leurs parts relèvent bien de l’article 244 bis A du CGI, mais parce que ce texte les visent en tant que telles, pas parce qu’il les répute inexistantes.


Il y donc là une position parfaitement contradictoire avec la jurisprudence antérieure du Conseil, en particulier la décision « Banque Française de l’Orient » cité dans notre précédente chronique, qui a jugé que lorsque la définition des dividendes est stricte, elle n’englobe pas les revenus réputés distribués, alors même que ces derniers sont soumis au même régime. Le Conseil d’Etat a-t-il réellement pensé opérer un revirement de jurisprudence ? C’est peu probable puisque la décision ne sera même pas mentionnée aux tables du Lebon. Pourtant, les deux décisions nous paraissent difficilement compatibles.


En second lieu, cette décision valide la pratique consistant à modifier les règles de la Convention en changeant le droit interne. En germe depuis la décision « Schneider Electric » du 28 juin 2002 (Assemblée, n° 232276), elle reçoit ici une consécration éclatante. Nous ne sommes pas sûrs que les Etats étrangers avec lesquels notre pays conclut des traités fiscaux apprécient l’art et la manière de récupérer de la matière imposable à leur détriment. Il est probable que l’Etat belge ne se plaindra pas puisqu’il ne taxe pas les plus-values de cession de droits sociaux. Mais ce n’est même pas certain car si elle est encore marginale, la taxation est possible en Belgique et connaît même une certaine accélération sous la pression du fisc belge, qui interprète de manière de plus en plus étroite la notion de « gestion d’un patrimoine privé en bon père de famille », qui fonde l’exonération des cessions de titres.


En troisième lieu, elle crée une nouvelle divergence avec la jurisprudence de la Cour de cassation qui, pour l’application de la Convention franco-monégasque en matière de droits de succession, a adopté en 2015 la position inverse (Cass. Plén, 2 octobre 2015, n° 14-14.256). Il est d’ailleurs perturbant de relever que c’est le même Rapporteur public, Madame Ciavaldini, qui citait cette décision dans ses conclusions sous l’arrêt du Conseil d’Etat du 10 juillet 2019 (n° 425148 ; Droit Fiscal 50/19, comm. 483) pour illustrer la méthode d’interprétation des Conventions fiscales qu’elle recommandait de suivre. A-t-elle radicalement changé d’avis en 7 mois ?
En dernier lieu, le champ d’application de cette décision reste flou.

S’applique-t-elle à toutes les sociétés civiles immobilières quel que soit leur régime fiscal ou seulement à celles qui relèvent de l’impôt sur le revenu ? Lu littéralement, c’est une application large qui semble prévaloir mais la question n’était pas non plus posée clairement. Toutefois, si l’on poursuit le raisonnement adopté, il faut tout de même continuer appliquer le droit interne au-delà de l’article 244 bis A qui ne constitue qu’un texte d’aiguillage et si l’assimilation des titres des sociétés à prépondérance immobilière fiscalement translucides aux immeubles est effectivement prévue par l’article 150 A bis du CGI, elle est en revanche écartée par celles qui sont assujetties à l’impôt sur les sociétés. La jurisprudence et, en premier lieu, la Cour Administrative d’Appel de Versailles qui se prononcera sur les affaires jugées à Melun, aura à se prononcer sur ce point.


Finalement, le tribunal administratif de Melun aurait-il correctement anticipé l’évolution de la jurisprudence ? Si cela se confirmait, nous aurions droit à un « Pan sur le bec » !