Les charmes (trop ?) discrets de la société en commandite simple
La société en commandite simple (SCS) est une relique dans notre droit des sociétés. Héritière des structures qui finançaient le commerce lointain lors d’époques tout aussi lointaines, elle est moins connue que sa grande sœur la société en commandite par actions (SCA) dont certains capitaines d’industrie ou de la banque ont fait dans les années 1980 un usage ingénieux qui a parfois donné lieu à des contentieux épiques.
Comme la SCA, la SCS réunit deux collèges d’associés : les commanditaires, qui ne sont responsables des pertes qu’à hauteur de leurs apports, et les commandités, qui ont la qualité de commerçants et qui sont indéfiniment et solidairement responsables des dettes sociales.
C’est sur le terrain fiscal que la SCS fait preuve de plus d’originalité : si elle est soumise à l’impôt sur les sociétés sur la part de son bénéfice revenant aux commanditaires, elle est fiscalement translucide pour celle revenant aux commandités. Cette nature hybride permet des schémas audacieux. La SCS constituerait-elle le graal de l’investisseur immobilier, en lui permettant de fiscaliser les loyers selon les règles de l’impôt sur les sociétés, donc à bientôt 25 % après imputation des amortissements et frais d’acquisition, tout en lui permettant de taxer la plus-value réalisée lors de la cession de l’immeuble selon le régime de l’impôt sur le revenu et de bénéficier d’une exonération totale après 30 ans de détention ? Elle se trouverait alors en concurrence avec le schéma bien connu d’investissement en démembrement de propriété exposé succinctement ici : https://www.bornhauser-avocats.fr/fr/investissement-immobilier-en-demembrement-de-propriete
Disons-le tout de suite, le schéma fonctionne. Le fait de répartir le bénéfice entre le commanditaire pour sa partie composée des éléments ordinaires (les loyers) et le commandité pour les éléments exceptionnels (les plus-values) ne nous paraît pas constituer une clause léonine prohibée. Il présente même l’avantage d’éviter la constitution d’une créance significative de l‘usufruitier des parts sur la société civile dont les titres sont démembrés à hauteur de l’excédent de distribution de la totalité du bénéfice comptable de cette dernière par rapport à sa trésorerie disponible, gage selon nous d’un usage non abusif du schéma.
Toutefois, son champ d’application nous semble nettement plus restreint que la société civile démembrée.
Tout d’abord, il n’est pas question que les associés commanditaires et commandités soient les mêmes personnes. Ce schéma est donc plutôt approprié au financement de locaux professionnels, le commanditaire étant la société d’exploitation preneuse du bail des locaux de la SCS et les commandités les associés du locataire.
De plus, le commandité aura la qualité de commerçant. Or, tout le monde ne peut avoir cette qualité car un certain nombre d’incompatibilités existent. Fonctionnaires, certaines professions libérales, enfants mineurs, la liste est longue. Le schéma ne permettra donc pas ou mal l’optimisation de la transmission à la génération suivante par la donation de la nue-propriété des parts du commandité à ses enfants mineurs. Sans oublier l’assujettissement du commandité, même non gérant, aux charges sociales. Même si, en l’absence de revenus, la cotisation sera forfaitaire, on parle tout de même de plus de 1.000 € par an et par commandité.
Ensuite, l’existence de l’article 13-5 du CGI qui taxe les cessions temporaires d’usufruit à l’impôt sur le revenu dans la catégorie du revenu sous-jacent (généralement, les revenus fonciers) ne constitue qu’un faible frein lorsqu’on démembre les parts d’une SCI au capital de 1.000 € qui s’apprête à acheter l’immeuble. La SCS n’apporte pas d’avantage réel à cet égard.
Enfin, il n’est pas assuré que la sécurité fiscale soit plus au rendez-vous que pour le schéma en démembrement de propriété. Ce dernier a certes donné lieu à des avis du Comité de l’Abus de Droit Fiscal favorables à l’administration, mais c’était dans des hypothèses très particulières. Et le Comité a aussi rendu des avis défavorables au redressement, de sorte que l’on sait aujourd’hui à peu près où se trouve la ligne jaune à ne pas franchir. A notre connaissance, l’utilisation d’une SCS n’a donné lieu à aucune décision, ni dans un sens ni dans l’autre. Il est donc présomptueux d’y voir là un avantage. On peut en particulier s’interroger sur le caractère abusif ou non de l’interposition d’une société pour contourner l’interdiction pour un associé de cumuler la qualité de commanditaire et de commandité.
En conclusion, l’utilisation de la SCS pour financer l’acquisition d’un immeuble de rapport peut effectivement présenter un intérêt qui peut même s’avérer supérieur au schéma d’investissement en démembrement de propriété. Mais ce sera dans des hypothèses très particulières et avec des conséquences potentiellement négatives en matière de droits de mutation à titre gratuit du fait de l’impossibilité de planifier une transmission optimisée aux héritiers du commandité.
En fiscalité comme en cuisine, c’est parfois dans les vieilles casseroles qu’on fait les meilleurs plats. Mais pas toujours…