(Cass. Com. 12 mai 2021, n° 542 F-D)

On sait que l’article 757 du CGI prévoit que le fait générateur d’un don manuel intervient dans les cas suivants :

  • le don manuel fait l’objet d’une reconnaissance judiciaire,
  • Le don manuel est révélé à l’administration.

Par ailleurs, l’article 784 du CGI impose l’obligation de rapporter lors d’une mutation à titre gratuit ultérieure consentie au profit d’un héritier ou d’un légataire les dons manuels dont ce dernier a bénéficié.


La combinaison de ces règles permet en pratique aux bénéficiaires de dons manuels provenant d’une personne dont ils n’héritent pas d’éviter les droits de succession si l’administration n’a pas connaissance de l’existence des dons dans le délai de reprise de leur impôt sur le revenu. En effet, passé ce délai, le fisc se trouve dépourvu de tout moyen pour contraindre le bénéficiaire à révéler son don.


Pour autant, rien n’interdit à l’administration de demander poliment à l’intéressé de révéler spontanément qu’il a été gratifié et si ce dernier commet l’erreur de répondre, alors le fisc tient sa révélation et peut l’assujettir à l’impôt de succession.


Et c’est apparemment ce qui est arrivé à l’auteur de cette QPC, à qui un artiste devenu célèbre avait donné deux oeuvres qu’il a revendues de nombreuses années après son décès, à une époque où sa cote avait flambé. Souhaitant optimiser sa fiscalité, il s’était rendu compte que le jeu des abattements pour durée de détention aboutissait à une imposition plus faible que l’application de la taxe forfaitaire sur les ventes d’objets d’art sur le prix de vente des oeuvres. Il a donc formulé une option en ce sens en déclarant une valeur d’acquisition que l’on imagine très faible. Au vu de sa déclaration de plus-values, l’administration l’a invité à révéler les dons manuels, ce qu’il a fait.


Bien mal lui en a pris : non seulement les dons sont devenus taxables, mais l’administration, en application de l’article 757 du CGI, a imposé le malheureux donataire au taux de 60 % applicable entre non-parents sur une assiette égale à la valeur des dons au jour de leur révélation !
Après avoir perdu devant les juges du fond, il a demandé à la Cour de cassation de faire constater que l’article 757, en prévoyant que l’assiette de l’imposition est égale à la plus élevée des deux valeurs, celle du bien lors du don ou lors de sa révélation, est contraire aux articles 6, 13 et 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789. La chambre commerciale de la Cour de cassation a trouvé sa question sérieuse et vient donc de renvoyer au Conseil Constitutionnel une QPC sur l’assiette de l’imposition des dons manuels.

Si l’on se demande encore ce que l’article 16 est venu faire ici, force est de constater que la différence de traitement entre les donations authentiques, qui sont taxées pour leur valeur au jour de leur réalisation, et les donations manuelles, qui sont taxées sur la valeur du bien au jour de leur révélation si elle est supérieure à leur valeur au jour de la transmission des biens, n’apparaît guère justifiée. Et l’on ne voit pas en quoi la lutte contre l’évasion fiscale, qui constitue souvent une raison valable pour justifier qu’une différence de traitement ne porte pas atteinte au principe d’égalité devant la loi protégé par l’article 6, la justifierait en l’espèce, surtout lorsque le don est spontanément révélé à l’administration.
Quant au principe d’égalité devant les charges publiques garanti par article 13, il ne paraît guère respecté ici car taxer le bien sur une valeur supérieure à celle qu’il avait lors de son entrée dans le patrimoine du bénéficiaire constitue indiscutablement une atteinte à ses capacités contributives. On pourrait certes objecter que si le fait générateur intervient après la vente du bien, alors le donataire aura la capacité contributive d’acquitter l’impôt de mutation à titre gratuit. Cet argument parait toutefois inopérant car précisément, les droits de donation frappent une mutation à titre gratuit, pas la cession ultérieure du bien.
Il ne nous reste plus qu’à souhaiter au contribuable concerné que le Conseil Constitutionnel vienne, en sanctionnant la règle d’assiette de l’article 757, lui restituer une partie de l’impôt que sa maladresse a rendu exigible.