Notre article précédent (https://blog.bornhauser-avocats.fr/2023/11/plf-2024-le-fisc-naime-pas-le-quasi-usufruit/) a suscité un certain émoi parmi nos lecteurs qui nous oblige à clarifier quelques points.

Le texte voté par le Sénat est-il applicable au quasi-usufruit résultant du démembrement de la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie ?

Pour répondre à cette question, reprenons la lettre du texte. Il s’applique aux… «  dettes de restitution exigibles qui portent sur une somme d’argent dont le défunt s’était réservé l’usufruit ». Or, en démembrant a clause bénéficiaire du contrat d’assurance-vie, le souscripteur du contrat ne s’est réservé aucun usufruit puisque le démembrement n’interviendra qu’à son décès. Clairement, cette situation n’est pas visée par la réforme.

Le nouveau texte sera-t-il applicable en cas de donation d’une créance, comme un contrat de capitalisation ? Là encore, la lettre du texte nous semble clairement exclure cette hypothèse, dès lors qu’une créance n’est pas une somme d’argent.

Le texte entrera en vigueur pour les successions ouvertes à compter de la promulgation de la loi de finances pour 2024, soit le lendemain de sa publication au journal officiel. Seront donc concernées les donations de sommes d’argent réalisées antérieurement dès lors que l’usufruitier sera toujours vivant lors de l’entrée en vigueur du texte.

L’état de droit sera donc modifié et les espérances des donataires visés par le texte seront frustrées. Cette forme de rétroactivité est-elle bien conforme à notre Constitution, en particulier à la garantie des droits visée à l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ?

La question peut sembler réthorique puisqu’une jurisprudence abondante du Conseil Constitutionnel permet au législateur de modifier une règle de droit de manière rétroactive lorsque… « l’atteinte aux droits des personnes résultant de cette modification est justifiée par un motif impérieux d’intérêt général » (par exemple : Cons. Cont. n° 2016-736 DC du 4 août 2016). Or, l’exposé des motifs justifie le texte pour… « dissuader le recours à des opérations qui sont principalement motivées par un objectif d’optimisation fiscale ».

Toutefois, il existe déjà un texte, l’article L 64 A du Livre des Procédures Fiscales, qui permet à l’administration fiscale d’écarter les actes conclus dans un but principalement fiscal. En édictant une interdiction générale de déduction des transmissions de la nue-propriété d’une somme d’argent avec réserve de quasi-usufruit, y compris pour les transmissions réalisées antérieurement à son entrée en vigueur, le nouveau texte instaure en pratique une présomption irréfragable d’abus pour les opérations déjà réalisées. Or, le caractère irréfragable de cette présomption est problématique pour les quasi-usufruitiers concernés qui n’auront aucun moyen de « rattraper le coup » en annulant l’opération pour en réaliser une qui soit hors du champ du nouveau texte (par exemple, en conservant un usufruit classique), puisque la révocation d’une donation n’est – sauf rares exceptions – pas possible.

Dans ce contexte particulier, la question de la justification de l’existence d’un motif impérieux d’intérêt général  mériterait à notre avis d’être posée au Conseil Constitutionnel pour toutes les opérations passées. Faire invalider cette rétroactivité est le seul espoir qui reste aux contribuables concernés, l’alternative étant de demander aux quasi-usufruitiers de sommes d’argent de recourir au suicide médicalement assisté (en Belgique ou en Suisse) avant la fin de l’année…