Une fois n’est pas coutume, nous n’allons pas commenter ici une jurisprudence nouvelle, mais livrer nos réflexions sur une question qui, à n’en pas douter, donnera prochainement lieu à une décision du juge de l’impôt. La question est formulée de manière très simple dans le titre. En revanche, sa réponse est rien moins qu’évidente.

On sait que l’article 150-0B ter du CGI prévoit qu’en cas d’apport de titres entrant dans le champ d’application de l’article 150-A du même code à une société contrôlée par l’apporteur, la plus-value d’apport bénéficie d’un report d’imposition de plein droit.

Cette caractéristique le distingue de l’ancien système de report d’imposition prévu par les articles 92 B II et 160 bis II du CGI, dont le bénéfice était soumis à une option qui devait être formulée dans la déclaration de revenus, de sorte que le défaut de déclaration de la plus-value concernée signifiait mécaniquement que le report n’avait pas été demandé.

Il n’y a à notre connaissance aucune jurisprudence du Conseil d’Etat quant à la portée du caractère de plein droit de l’application du régime du report visé à l’article 150-0B ter. Quelques juges du fond ont toutefois rendu des décisions qui, bien que ne traitant pas directement de la question de la prescription, délivrent des indications intéressantes.

C’est ainsi que le tribunal administratif d’Amiens a jugé que si la déclaration de report n’avait pas été souscrite en temps utile, le contribuable pouvait néanmoins régulariser sa situation tant qu’il était encore dans le délai de réclamation de l’article R 196-3 du LPF, de sorte que l’administration ne pouvait pas l’imposer sur la plus-value en report (8 février 2024, n° 2200661).

Par une décision du 25 octobre 2022 (n° 20BX02422), la Cour Administrative d’Appel de Bordeaux a jugé qu’un contribuable ne pouvait pas justifier qu’il n’avait pas déclaré sa plus-value en invoquant la parution tardive du décret prévu par l’article 150-0B ter fixant ses obligations déclaratives dès lors que l’article en question dispose clairement que… « Le contribuable mentionne le montant de la plus-value dans la déclaration prévue à l’article 170 ».

Cette décision confirme que bien qu’automatique, le bénéfice du report d’imposition ne dispense pas le contribuable de déclarer la plus-value en report, contrairement au régime du sursis d’imposition qui s’applique aux apports à une société non contrôlée par l’apporteur.

Or, si la loi prévoit une obligation formelle de déclaration, le défaut de souscription de celle-ci doit pouvoir être sanctionnée. En effet, lorsque l’article 150-0B ter dispose que… « Le contribuable mentionne le montant de la plus-value dans la déclaration prévue à l’article 170 », il ne l’invite pas, mais exige de lui qu’il souscrive la déclaration spéciale mentionnant la plus-value en report et son suivi dans sa déclaration de revenus. En effet, l’usage du présent dans un texte de loi doit toujours être compris, sauf si le contexte exige une interprétation différente, comme édictant une obligation.

Mais la sanction du défaut de déclaration de la plus-value en report est-elle nécessairement la perte du bénéfice du report, donc l’exigibilité de la plus-value constatée lors de l’apport ?

La décision du TA d’Amiens, en prévoyant la possibilité pour le contribuable de régulariser sa situation tant qu’il reste dans le délai de réclamation, n’interdit pas pour autant à l’administration de le taxer s’il refuse de procéder à cette régularisation en déclarant la plus-value en report. Quant à la décision de la Cour de Bordeaux, il est difficile d’en tirer un enseignement quelconque dès lors que le contribuable ne remplissait pas les conditions d’application de l’article 150-0B ter puisqu’il avait bénéficié d’une soulte excédant le maximum de 10 %. Le moyen relatif à l’absence de déclaration de la plus-value en report était donc surabondant.

Dès lors, sauf à leur faire dire ce qu’elles ne disent pas, ces deux décisions n’apportent aucune confirmation expresse quant à la question de la sanction du manquement déclaratif. Rappelons à cet égard que les simples manquements déclaratifs sans impact sur l’impôt dû ne sont sanctionnés, conformément à l’article 1729 B du CGI, que par une amende de 150 €.

Or, si le report d’imposition de l’article 150-0B ter est automatique dès lors que ses conditions d’application sont remplies, le défaut de souscription de la déclaration de la plus-value en report pourrait être considéré comme un simple manquement déclaratif sans impact sur l’impôt dû.

Si la sanction de ce manquement n’est pas la perte du report mais seulement une amende de 150 €, alors la prescription ne pourra jamais s’appliquer pour couvrir autre chose que l’exigibilité de cette amende.

Cela dit, une décision du Conseil d’Etat rendue sous l’empire d’un autre report d’imposition, celui visé à l’article 151 octies du CGI en faveur des apports en sociétés d’entreprises, nous semble apporter la réponse à cette délicate question.

En effet, le report d’imposition de l’article 151 octies présente cette particularité de devoir être demandé dans le traité d’apport. Son caractère optionnel se transforme donc en obligation déclarative dès lors que l’option pour le report est choisie, ceci contrairement à l’ancien report d’imposition des articles 92 B II et 160 bis II, dont l’option devait être exercée sur la déclaration de la plus-value, qui était reportée ou imposée immédiatement en fonction du choix du contribuable.

Dans cette affaire, les contribuables avaient bien opté pour le report de la plus-value dans le traité d’apport approuvé en 1994, mais ils n’avaient pas déclaré leur plus-value en report dans leur déclaration fiscale souscrite l’année suivante.

L’administration les ayant taxés en 1999 sur cette plus-value d’apport non déclarée, ils avaient soutenu que le fait générateur étant l’apport en société, la plus-value d’apport était prescrite.

Par un arrêt du 16 mars 2009 (n° 304749) publié au Recueil Lebon, le Conseil d’Etat les déboute en considérant que la prescription ne courait pas à compter de l’option pour le régime du report, mais de la souscription de la déclaration de revenus à laquelle devait être joint l’état faisant apparaître la plus-value en report, déclaration qui, devant être souscrite en 1995 pour un apport réalisé en 1994, n’était pas couverte par la prescription.

Or, si le régime de l’article 151 octies est différent de celui de l’article 150-0B ter, ils ont néanmoins en commun le fait d’obliger le contribuable apporteur à souscrire une déclaration spécifique dont le contenu est prévu par décret. La jurisprudence du Conseil d’Etat sur la portée de l’absence de déclaration spécifique nous semble donc tout à fait transposable pour l’article 150-0B ter.

En conclusion, lorsque le contribuable ayant apporté des titres à un société soumise à l’impôt sur les sociétés qu’il contrôle omet de déclarer la plus-value en report qu’il a réalisée lors de la souscription de sa déclaration de revenus de l’année suivante, il perd le bénéfice du report automatique et la plus-value d’apport devient imposable au titre de l’année de l’apport. Certes, il doit pouvoir régulariser sa situation dans le délai de réclamation, mais si l’administration ne le redresse pas dans le délai général de reprise dont elle bénéficie visé à l’article L 169 du Livre des Procédure Fiscales, cette plus-value d’apport non déclarée nous semble devoir bénéficier de la prescription.