Perquisitions Fiscales et Secret Professionnel : le Conseil d’Etat se Défausse
(CE 13 mars 2025, n° 469738)
On sait que l’administration ne peut fonder un redressement sur l’utilisation de pièces obtenues illégalement (CE 15 avril 2015, n° 373269, Sté Car Diffusion 78). Et que des pièces saisies lors d’une perquisition ultérieurement annulée par le juge sont considérées comme ayant été obtenues illégalement (CE 23 novembre 2016, n° 387485). On sait également que le secret professionnel de l’avocat s’oppose à ce que l’administration puisse redresser un contribuable en se fondant sur une consultation établie par un avocat en matière fiscale, sauf si c’est le contribuable qui la lui a transmise de son plein gré (CE 28 février 2007, n° 283441).
On aurait donc pu en déduire que l’administration n’était pas autorisée à utiliser pour fonder un redressement une consultation fiscale établie par un avocat – et donc protégée par le secret professionnel de ce dernier – obtenue lors d’une perquisition ou d’une visite domiciliaire, même si la perquisition et/ou les opérations de saisies n’avaient pas été contestées.
Et on se serait lourdement trompé : par un arrêt du 13 mars 2025, le Conseil d’Etat vient de juger que si le contribuable n’a pas exercé les voies de recours prévues – et donc contesté devant le Premier Président de la Cour d’Appel – la saisie à son domicile des consultations de son avocat protégées par le secret professionnel, rien n’interdit à l’administration de se fonder sur ces dernières pour le redresser. Et en l’espèce, l’administration avait sanctionné le contribuable d’une pénalité de 80 % pour un schéma abusif, le risque d’abus de droit ayant très vraisemblablement été identifié par le conseil du contribuable dont la consultation avait été saisie…
Pour les contribuables, cette jurisprudence constitue une dégradation majeure de leurs droits. En effet, alors que le juge de l’impôt (administratif comme judiciaire, à savoir le Conseil d’Etat et la chambre commerciale de la Cour de cassation) ont une conception assez large du secret professionnel de l’avocat et donc de l’étendue de sa protection, qui s’applique « en toutes matières », la chambre criminelle en a, elle, une conception plus qu’étroite. Pour tout dire, depuis l’arrêt du 24 septembre 2024 (n° 23-84.244 P) qui confirme une jurisprudence hélas abondante, le secret professionnel du conseil n’existe tout simplement pas aux yeux de cette dernière. En se défaussant de la sorte sur le juge de l’exécution des perquisitions et autres visites domiciliaires pour l’appréciation de la violation du secret professionnel, le Conseil d’Etat limite donc indirectement à sa portion congrue le secret professionnel de l’avocat.
Cette jurisprudence renforce donc la nécessité de contester systématiquement les opération de saisie pour demander l’exclusion des correspondances protégées par le secret professionnel de l’avocat, y compris en matière de conseil, et de ne pas hésiter à déférer les décisions – négatives – de la chambre criminelle devant les juridictions européennes : CJUE et CEDH. Il n’y a manifestement plus que là que l’avocat puisse espérer voir reconnaître la plénitude de son secret professionnel. Heureusement, ces juridictions paraissent nettement mieux disposées à l’égard du nécessaire secret des correspondances entre l’avocat et son client (CEDH, 30 janvier 2007, n° 77097/01, § 47 ; CJUE 8 décembre 2022, n° C-694/20).