(Ordonnance CJUE, 20 mars 2025, affaire C-141/24)

On se souvient que le Tribunal Judiciaire de Nanterre avait l’an dernier interrogé la CJUE sur la compatibilité de l’imprescriptibilité de l’imposition fondée sur l’article 755 du CGI à laquelle aboutit la procédure prévue à l’article L 23 C du LPF en cas de défaut de justification de l’origine des avoirs figurant sur des comptes bancaires étrangers non déclarés avec la Liberté de Circulation des Capitaux (https://blog.bornhauser-avocats.fr/2024/05/article-755-du-cgi-et-imprescribilite-le-tj-de-nanterre-saisit-la-cjue-dune-question-prejudicielle/).

Malheureusement, la Cour Européenne a fait droit aux arguments de la Commission qui considérait que la première question posée ne respectait pas les canons du genre et l’a déclarée irrecevable. La seconde découlant de la première, elle est par suite également jugée irrecevable. Le TJ Nanterre est ainsi invité à faire preuve de plus de rigueur dans la formulation de ses questions.

En effet, la Cour lui reproche de ne pas l’avoir mise en mesure d’apprécier l’existence d’une discrimination en ne lui exposant pas le cadre du droit interne. Et force est de constater la critique pertinente, puisque si la comparaison entre la situation du contribuable ayant ouvert un compte à l’étranger et celui ne détenant que des comptes dans des banques françaises n’est pas effectuée, il sera difficile d’apprécier l’existence de la discrimination supposée et donc de l’atteinte à la liberté communautaire revendiquée ainsi que les éventuelles justifications que pourra fournir la France à l’existence d’un traitement différent.

Le tribunal est donc invité à reformuler sa question de la manière appropriée. Tentons de l’y aider.

Un particulier résident français qui ouvre un compte bancaire n’est soumis à aucune obligation particulière de déclaration. En effet, c’est la banque qui doit déclarer au fisc l’existence du compte, qui alimentera le fichier FICOBA. Si la banque oublie de procéder à cette déclaration, elle risque des sanctions d’un montant assez faible (1.500 €) mais le client, lui, ne risquera absolument rien. Bien entendu, la banque doit s’assurer que l’argent crédité sur le compte provient d’une origine licite dans le cadre de ses obligations de lutte contre le blanchiment. Si lors d’un contrôle approfondi de sa situation fiscale l’administration identifie des crédits suspects sur le compte du contribuable, elle peut alors lui en demander l’origine et, en cas de défaut de preuve du caractère non imposable des sommes en question, le taxer dessus. Toutefois, cette taxation ne peut intervenir qu’au titre des années non prescrites (2 ou 3 années précédentes en fonction de la date de la demande).

Un résident français qui ouvre un compte auprès d’une banque étrangère doit en déclarer l’existence auprès du fisc français en souscrivant une déclaration spéciale n° 3916 en annexe de sa déclaration de revenus. S’il s’abstient une seule fois au cours des 10 dernières années de souscrire cette déclaration annuelle, alors le fisc pourra l’interroger sur l’origine des fonds figurant sur ce compte et en cas de réponse insatisfaisante, l’imposer sur le solde le plus élevé du compte au cours de la période comme si ces fonds lui avaient été recueillis d’un tiers, donc au tarif des droits de succession au taux de 60 %. Depuis l’entrée en vigueur des Échanges Automatiques d’Information (EAI) à compter de 2017, l’administration fiscale est informée chaque année par les administrations étrangères de l’existence et du solde au 31/12 de l’année précédente de chaque compte détenu par ses résidents dans un État partie à cet accord. Il y a bien ici une différence de traitement dont on peine à voir la justification.

Mais telle n’est pas la question qui doit être posée. Comme la CJUE l’y invite, le TJ Nanterre devra exposer le cadre du droit interne au cas qu’il a eu à connaître et pour lequel il la questionne. En l’occurrence, il semble s’agir d’un contribuable qui détenait un compte non déclaré dans un pays appliquant le secret bancaire et dont la convention fiscale ne permettait alors pas à la France d’obtenir d’informations sur les comptes bancaires possédés par ses résidents avant l’entrée en vigueur, postérieure, d’un avenant à la convention puis des EAI. On doit remarquer que c’est seulement l’entrée en vigueur des EIA qui a permis d’aligner la situation des comptes étrangers sur celle des comptes français au regard de la connaissance de leur existence par le fisc français.

Cette absence d’accès spontané aux informations bancaires lorsque le compte était ouvert dans un pays non coopératif paraît effectivement justifier une durée de prescription allongée. Toutefois, le régime français ne se limite pas à accorder au fisc une prescription plus longue : il organise une procédure – qui n’est pas applicable aux résidents dont les comptes sont ouverts dans une banque française – aboutissant à exiger du contribuable la preuve de l’origine de fonds apportés sur le compte sans aucune limite de temps. Cet effet d’imprescriptibilité est aggravé par la circonstance qu’entrent dans le champ du texte les comptes ouverts et donc alimentés avant son entrée en vigueur, alors que par définition, les contribuables concernés n’ont pas imaginé devoir se préconstituer la preuve de l’origine de leurs apports sur le compte. Comme la banque étrangère a généralement l’obligation de ne conserver le détail des mouvements sur le compte que pour les dix dernières années, la preuve demandée sera, pour les sommes apportées antérieurement, impossible à apporter en pratique. Quant à l’assiette de la taxation, elle est également totalement déconnectée de l’enrichissement réel du contribuable, contrairement au compte français où seuls les crédits non justifiés sont imposés.

Une fois ce cadre posé, les questions préjudicielles que pourra poser le TJ Nanterre devraient être rédigées comme suit :

1/ Les articles L 23 C du LPF et 755 du CGI, qui instituent un mécanisme obligeant les contribuables ayant manqué à leur obligation de déclaration de comptes à l’étranger, à justifier de l’origine des avoirs détenus sur ces comptes indépendamment de la date de perception des avoirs et qui permettent, à défaut de réponse satisfaisante, l’imposition du solde le plus élevé du compte au cours des dix dernières années, alors que pour les comptes français, l’administration ne peut taxer comme revenus d’origine indéterminée que les crédits bancaires dont l’origine n’a pu être justifiée par le contribuable, portent-ils une atteinte disproportionnée à la liberté de circulation des capitaux garantie par l’article 63 du TFUE ?

2/ L’article 755 du CGI, qui institue une présomption de perception à titre gratuit des avoirs détenus sur des comptes à l’étranger à l’expiration des délais de la demande de l’administration fondée sur l’article L 23 C du LPF, retardant ainsi le fait générateur de l’imposition, alors que pour les comptes français, seuls les crédits non justifiés perçus sur les comptes au titre de la période non couverte par la prescription peuvent être imposés, porte-t-il une atteinte disproportionnée à la liberté de circulation des capitaux garantie par l’article 63 du TFUE ?

Il reste à espérer que le TJ de Nanterre fasse preuve de persévérance et repose à la CJUE les Questions Préjudicielles nécessaires pour que la conformité de cette imposition à la liberté de circulation des capitaux soit tranchée une bonne fois pour toutes. Parce que malheureusement, il ne faut pas compter sur le TJ de Paris pour le faire…article L23 C