(BOI-ENR-DMTG-10-40-20-20, n° 250, 26 septembre 2024)

On se souvient que dans la dernière loi de finances, le législateur a modifié l’article 774 du CGI pour interdire la déduction de la dette du nu-propriétaire envers le quasi-usufruitier lorsque celle-ci procède de la donation d’une somme d’argent (https://blog.bornhauser-avocats.fr/2023/12/le-fisc-naime-pas-le-quasi-usufruit-suite/). Lorsque le quasi-usufruit a été constitué sur le prix de vente d’un bien démembré, le même texte présume la dette non déductible sauf preuve que l’opération n’a pas été réalisée dans un but principalement fiscal.

On attendait avec intérêt les commentaires de l’administration sur ce texte, en particulier les hypothèses où elle considèrerait comme apportée la preuve du but non principalement fiscal.

Sans surprise, l’administration indique que plus long sera le temps qui séparera la donation avec réserve d’usufruit de la cession créant le quasi-usufruit, plus cette preuve sera facile à apporter. On peut certes déplorer qu’elle ne se hasarde pas à fixer un délai, mais l’idée est là : plus on attend, moins il y a de risque. Cette précision au demeurant anachronique lorsque la constitution ultérieure du quasi-usufruit est prévue dans la donation elle-même montre bien qu’en filigrane, ce sont les donations-cessions avec réserve de quasi-usufruit qui sont dans le collimateur du fisc, qui n’a apparemment toujours pas digéré la décision de principe du Conseil d’Etat (CE 10 février 2017, n°387960) en validant le principe.

Le fait que le bien dont la cession va créer le quasi-usufruit ait entretemps perdu de la valeur constitue aussi pour l’administration un indice de l’absence d’abus. Une sorte de lot de consolation pour le nu-propriétaire qui aura acquitté trop de droits de donation…

L’administration confirme également que des motivations patrimoniales peuvent justifier le passage au quasi-usufruit, en donnant comme exemple « l’insuffisance de liquidités nécessaires pour s’acquitter de dépenses d’hébergement de l’usufruitier ». Effectivement, la période de taux négatifs que nous venons de traverser (et dans laquelle nous pourrions bien revenir) rendait difficile la situation de l’usufruitier ayant besoin des fruits du remploi du bien cédé pour financer son train de vie.

L’administration cite enfin le « degré de latitude de l’usufruitier à décider du report de l’usufruit sur le prix de cession ». Elle vise ainsi l’hypothèse où l’usufruitier a conditionné son accord à la cession du bien démembré à l’attribution à son profit du prix de vente dans le cadre d’un quasi-usufruit. L’hypothèse mérite d’être explorée, mais elle suppose au préalable que la stipulation d’un quasi-usufruit sur le prix de vente n’ait pas été prévue dans l’acte de donation initial. Cette précision pourrait inciter les praticiens à laisser ouverte la question du sort du prix de vente en cas de cession des biens démembrés en offrant par exemple à l’usufruitier le choix entre l’obligation pour le nu-propriétaire de remployer ce prix dans d’autres biens démembrés ou le passage au quasi-usufruit.

La liste de l’administration n’est pas limitative et nous considérons pour notre part que lorsque le passage au quasi-usufruit a pour but d’attribuer la fiscalité de la cession du bien démembré à l’usufruitier alors que le nu-propriétaire n’aurait pas eu les moyens de la supporter si un remploi lui avait été imposé, ce sont bien des raisons principalement patrimoniales qui justifient cette opération.

Quant aux quasi-usufruits constitués avant l’entrée en vigueur du nouveau texte, nous attendons de pied ferme les éventuelles velléités de redressement du fisc. Nous aimerions en effet bien comprendre comment les contribuables auraient pu abuser d’un texte qui n’existait pas encore.