Abus de Droit et But Principalement Fiscal : l’Administration Fait une Nouvelle Tentative
On ne peut pas dire que l’administration n’a pas de la suite dans les idées. Trois ans après que le Conseil Constitutionnel a sanctionné la notion de but principalement fiscal en matière d’abus de droit, quatre ans après qu’il s’est opposé à la prise en compte des revenus latents pour le calcul du plafonnement de l’ISF en fonction du revenu, elle fait une nouvelle tentative dans le cadre du projet de loi de finances pour 2017.
L’article 4 du projet de loi de finances prévoit en effet ce qui suit :
« Le I de l’article 885 V bis du code général des impôts est complété par les deux alinéas ainsi rédigés :
Les revenus distribués à une société passible de l’impôt sur les sociétés contrôlée par le redevable sont réintégrés dans le calcul prévu à l’alinéa précédent, si l’existence de cette société et le choix d’y recourir ont pour objet principal d’éluder tout ou partie de l’impôt de solidarité sur la fortune, en bénéficiant d’un avantage fiscal allant à l’encontre de l’objet ou de la finalité de ce même alinéa. Seule est réintégrée la part des revenus distribués correspondant à une diminution artificielle des revenus pris en compte pour le calcul prévu à l’alinéa précédent.
En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du précédent alinéa, le litige est soumis aux dispositions des deuxième, troisième et quatrième alinéas de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales ».
L’exposé des motifs nous apprend que cette disposition vise à sanctionner les schémas d’optimisation du plafonnement d’ISF via l’utilisation d’une structure capitalisante, que celle-ci soit couplée avec l’existence d’emprunts bancaires pour financer le train de vie du contribuable ou non, celui-ci se contentant alors d’utiliser les disponibilités dont il dispose par ailleurs.
Ce projet de texte appelle de notre part les observations suivantes.
En premier lieu, il confirme ce que nous avions dit lors de la conférence de l’IACF du 23 juin 2016 relative aux clauses anti-abus dans les conventions internationales et dont nous avons publié le compte rendu ici (http://blog.bornhauser-avocats.fr/index.php/2016/06/24/la-nouvelle-clause-anti-abus-de-larticle-119-ter-3-du-cgi-condamne-t-elle-la-holding-patrimoniale-passive/) : la clause anti-abus de la Directive « Distributions » codifiée à l’article 119 ter 3 du CGI ne peut pas être utilisée par l’administration pour sanctionner les schémas d’optimisation en matière d’ISF dès lors qu’elle doit être interprétée à la lumière du droit européen, d’une part, et que la CJUE estime qu’une telle clause ne peut être invoquée que pour sanctionner un schéma qui vise à contourner l’application de la directive qu’elle protège (CJUE, 20 mai 2010, aff. C-352/08, Modehuis A. Zwijnenburg BV), d’autre part.
L’administration qui était présente à la conférence IACF semble donc nous avoir entendu et sa réaction est la meilleure preuve qu’elle n’essaiera pas d’utiliser ce texte pour sanctionner les schémas patrimoniaux.
En second lieu, l’administration tente une nouvelle fois d’étendre la notion de l’abus de droit au but « principalement » fiscal et non seulement « exclusivement ». Rappelons qu’après deux défaites sévères en 2013 et 2014 devant le Conseil Constitutionnel (n° 2013-685 DC et n° 2014-707 DC), elle était revenue à la charge avec plus de succès lors de la transposition de laclauses anti-abus de la Directive « Distributions », le Conseil Constitutionnel ayant alors jugé (n° 2015-726 DC) que s’agissant d’un texte d’assiette non assorti de pénalités, il n’y avait pas lieu de le sanctionner au nom d’une violation du principe de légalité des délits et des peines. Et l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité et intelligibilité de la loi n’a selon lui pas la même portée dans cette hypothèse.
Et c’est exactement ce que tente ici de faire l’administration : elle ne qualifie pas ce schéma d’abusif au sens de l’article L 64 du LPF, mais se contente de permettre à l’administration de notifier un redressement sans pénalité lorsque les conditions d’application du texte le lui permettent.
La ficelle est toutefois un peu grosse : si le terme d’abus de droit n’est effectivement pas prononcé, le contribuable va pouvoir néanmoins bénéficier de toutes les garanties de l’article L 64 du LPF, dont la plus importante, la saisine du Comité de l’Abus de Droit Fiscal. L’administration tente ici de faire de l’abus de droit comme Monsieur Jourdain faisait de la prose !
De plus, le champ d’application du texte est défini de manière extrêmement vague : le contribuable pourra notamment se voir appliquer cette réintégration alors même qu’il se sera contenté de puiser dans son épargne sans s’être endetté.
Enfin, qu’est-ce qu’un but « principalement » fiscal ? On sent bien qu’il s’agit de comparer divers objectifs pour identifier le principal, mais comment cela fonctionnera-t-il lorsqu’il s’agira de comparer des critères objectifs et quantifiables en termes pécuniaires (par exemple, une économie d’impôt), avec des critères plus subjectifs et non quantifiables pécuniairement (par exemple, éviter une future situation d’indivision ou faciliter l’organisation de sa succession) ?
En troisième lieu, ce texte vise d’une certaine manière à remettre en question la décision du Conseil Constitutionnel sur la loi de finances pour 2013 (n° 2012-662 DC). Dans cette décision, le Conseil a en effet jugé qu’une loi qui permettait de prendre en compte des revenus latents dans des structures capitalisantes pour le calcul du plafonnement violait le principe de prise en compte des facultés contributives du contribuable.
En conclusion, de bonnes raisons nous laissent penser que cette nouvelle tentative de l’administration se heurtera comme les précédentes à la digue défendue par le Conseil Constitutionnel. Malheureusement, la désillusion subie l’an dernier sur la clause anti-abus de la Directive « Distributions » démontre que nous ne pouvons avoir aucune certitude à cet égard et l’idéal serait que ce texte ne dépasse pas le débat parlementaire. Avec l’actuelle majorité, cela relève du vœux pieux, mais comme il y a de nouvelles élections l’an prochain, tous les espoirs sont permis !