Maison de vacances dans des structures IS : Comment se défendre en cas de redressement fiscal du montant du loyer ?
Les juges du contentieux fiscal changent rarement d’avis. Cette stabilité jurisprudentielle est rassurante car elle réduit l’aléa du résultat judiciaire. Elle peut aussi conduire à des solutions qui étaient parfaitement adaptées au monde d’hier mais ne le sont plus du tout à celui d’aujourd’hui.
Conscients de cette difficulté, les juges peuvent décider d’infléchir une solution bien établie qui préserve les principes tout en en atténuant leurs effets. Leurs certitudes ne sont pas granitiques mais composées d’éléments friables que les conseils du contribuable doivent déceler et saisir pour s’engouffrer dans des brèches salvatrices.
L’arrêt, à certains égards catastrophique pour les contribuables, rendu en fin d’année dernière par la CAA de Marseille (4ème chambre, 31 décembre 2019, n° 18MA04580) concernant la location à soi-même de maisons de villégiature offre un bel exemple d’une solution inadaptée dont le juge ne peut toutefois être tenu pour responsable.
Pour des raisons d’organisation de patrimoine, certains propriétaires font le choix d’acheter leur résidence secondaire par le biais d’une société soumise à l’impôt sur les sociétés. Rien ne l’interdit. Cette société leur consent un bail d’habitation annuel moyennant un loyer, ce qui est encore parfaitement licite. Néanmoins, les tracas et le contentieux commencent lorsque l’administration fiscale estime le loyer insuffisant.
Ces redressements se sont beaucoup développés car ces contrôles, à la fois très simples et très rentables, améliorent la productivité des brigades opérant le long des rivages marins.
Point n’est besoin d’imaginer l’inspecteur des impôts en chemise à fleur de circonstance arpentant la piscine et le tennis de la propriété pour en jauger l’agrément. Il lui suffit de rester rivé à sa table de travail, de consulter Google Maps et la dernière quittance. Sans trop se fatiguer il fait coup double : il redresse le bailleur pour acte anormal de gestion et le locataire pour avoir bénéficié d’une distribution occulte.
Le contribuable est taxé deux fois, même éventuellement trois fois si son supplément de revenu théorique fait exploser son plafonnement d’impôt sur la fortune immobilière (ci-après IFI). A quoi s’ajoutent les pénalités de 40 %, appliquées quasi-systématiquement puisque l’opération ne fait intervenir aucun tiers.
Bien mieux, l’inspecteur peut revenir les années suivantes car il n’est pas toujours facile de déterminer un « loyer normal ».
C’est précisément autour de cette question de la normalité du loyer que se noue le débat contentieux. Selon la jurisprudence, ne pas payer un loyer normal constitue un acte anormal de gestion. La réponse est simple en théorie : il suffit, comme pour le contentieux de l’impôt sur la fortune ou de l’enregistrement, de trouver des éléments de comparaison. Toutefois, ces éléments font le plus souvent défaut en pratique.
D’une part, les propriétaires de belles maisons préfèrent les édifier sur des terrains paradisiaques et déserts plutôt que dans des quartiers à forte densité, riches de comparables mais pauvres en vues sur mer : Saint Tropez plutôt que Saint Denis. D’autre part, si les habitations de rêve sont rares, leur location à l’année l’est plus encore. Les plagistes ne sortent que sous le soleil et quand les parasols sont repliés, les volets demeurent fermés. Seule triomphe dans ces lieux bénis des dieux, mais pour une partie de l’année seulement, la location saisonnière. Or, nous disent les juges, on ne peut comparer location saisonnière et location permanente.
Confronté à ce vide comparatif, le juge aurait pu fixer une limite très simple à l’administration en ne sanctionnant que le comportement abusif du propriétaire qui fixe un loyer anormalement bas.
Le juge aurait ainsi reconnu le principe du respect de la liberté contractuelle tout en affirmant que la fraude corrompt tout. Il n’aurait sanctionné que la fraude consistant à fixer un loyer dérisoire ou inexistant à l’exemple du juge pénal qui sanctionne l’abus de biens. Il en a décidé autrement et depuis de nombreuses années il considère qu’il n’y a pas lieu d’établir une distinction entre l’insuffisance « anormale » de prix et l’abus. En vérité, il ne semble pas que la question lui ait été posée, les redressements conduisant généralement à un doublement voire à un triplement de la base locative, ce qui laisse supposer l’anomalie excessive du loyer contractuel.
Pour contourner la difficulté liée à l’absence de comparable, l’administration établit la valeur vénale de la propriété, puis fixe un coefficient de rendement. Si ce calcul aboutit à un résultat supérieur au loyer fixé, le propriétaire et le locataire sont redressés. L’administration et le juge décident à la place du bailleur que le loyer doit être établi sur des bases strictement financières et que son montant doit permettre d’obtenir une rentabilisation du bien arbitrairement fixée en fonction de la valeur vénale. Ainsi, en l’absence de comparable, le loyer est qualifié d’anormal lorsqu’il est inférieur au loyer financier attendu.
Mais qu’est ce qu’un loyer financier normal ? Quel rendement retenir par rapport à la valeur vénale ? Ce rendement doit-il être toujours le même quelle que soit la période ? L’administration a semblé le considérer et l’a longtemps fait varier dans une fourchette étroite comprise entre 4 et 5 %. Un inspecteur s’étant hasardé à 6 % pour les années 2002 et 2003 s’est fait réduire sa revendication à 4,5 % par la Cour administrative d’appel de Marseille (CAA Marseille, Gurin 25 juin 2013, n° 10MA02726). Cependant, la détermination d’un taux de rendement fixe ne se justifie que dans un univers de taux globalement stable. Or, depuis 2008, les taux obligataires se sont effondrés, jusqu’à devenir négatifs pour certaines durations. Les agents économiques ne peuvent obtenir les mêmes rendements pour leurs investissements privés alors que le rendement de l’OAT 10 ans est passé de 4 % dans les années d’avant crise à un rendement négatif en 2020.
La jurisprudence n’avait eu à connaître jusqu’à présent que de redressements opérés pour des exercices antérieurs à 2009.
Un arrêt s’est prononcé sur les exercices 2007 et 2008 et le taux de rendement avait été limité spontanément par l’administration à 2,5 %, ce qui était de bon augure (CAA de Marseille, 7ème chambre, 16 février 2016, 14MA01053, Palauni).
On attendait impatiemment que la jurisprudence se prononce sur des années postérieures. Voilà qui est fait avec cet arrêt de la CAA de Marseille du 31 décembre 2019 : la Cour a statué sur une rectification portant sur les exercices 2012 et 2013. L’administration fiscale avait eu la main particulièrement lourde en retenant un taux de rendement de 5 %. Peut-être avait-elle été irritée par le comportement du propriétaire, une société suisse qui ne réclamait aucun loyer à son occupant, résident britannique ?
Devant le juge, le contribuable avait adopté une stratégie de rupture. Il soutenait que la maison n’était pas louée parce qu’elle était inoccupée. Se cramponnant à ce système de défense, il se refusait à aborder les questions de valeur et de rendement. Pourtant, une visite domiciliaire avait surpris un occupant et sa famille au bord de l’une des deux piscines de la propriété. Le service s’était aussi procuré des factures d’eau et d’électricité révélant une consommation abondante. Au vu de ces éléments de fait, la CAA de Marseille rejette le moyen et condamne sur la base des valorisations de l’administration, puisque celles-ci n’ont pas été contestées. Une décision sévère donc, mais le juge n’y est pour rien.
Gageons que les tribunaux auront l’intelligence de reconsidérer le taux de rendement au regard du cycle afférent à la date de l’exercice contrôlé si les conseils du contribuable le lui font observer.
Par ailleurs, le taux de rendement ne peut être le même quelle que soit la nature du bien. La rémunération d’une obligation « pourrie ou poubelle » est supérieure à celle d’une obligation du Trésor. La raison en est simple : une OAT est plus désirable car le risque de défaillance du débiteur est plus faible.
L’investisseur d’un actif immobilier doit aussi arbitrer entre la qualité du bien et son rendement. Les rendements baissent quand la qualité monte.
L’administration utilise habilement cette règle de base d’économie financière quand elle lui est favorable : à un contribuable qui tentait de négocier un taux de 3 % au lieu de celui retenu de 4 %, l’administration réplique victorieusement que « le taux de rendement de 3 % ne s’applique qu’aux immeubles de nature exceptionnelle de catégorie cadastrale 1 et 2 ce qui n’est pas le cas de sa villa qui se situe dans la catégorie des immeubles de luxe dans la catégorie cadastrale n° 3 » ( CAA Marseille , 21 octobre 2014, n° 12MA01630).
En revanche, elle utilise l’argument à rebours quand le bien est exceptionnel. Ainsi, un inspecteur décrit par le menu au tribunal administratif de Nice une propriété éblouissante à Gassin de 296 m², lovée dans un parc de 3 hectares avec maison de gardien, piscine, pool house, court de tennis. Le fonctionnaire précise que chaque chambre dispose d’une salle de bains individuelle, on imagine donc qu’il a pris le temps de la visiter pièce par pièce. Et il en déduit contre toute logique qu’il y a lieu de retenir le taux de rentabilité exorbitant de 5 %. Le Tribunal de Nice lui donne raison et semble même dépité de ne pouvoir retenir un chiffre plus élevé : « eu égard à la qualité et à la situation de la propriété, et de l’état du marché locatif dans cette zone très touristique, le taux de rendement de 5 % retenu par l’administration est loin d’être exagéré » (TA Nice, Putao, 24 novembre 2009, n° 0602967, confirmé par CAA Marseille, 18 juin 2013, n° 10MA01250).
La Cour d’appel de Marseille a toutefois pris partiellement conscience que le raisonnement devait être exactement inverse dans une décision rendue dans une autre affaire (CAA Marseille, Argos, le 26 novembre 2013, n° 11MA01598). Dans cette décision, les magistrats intègrent le fait que la hausse des prix de l’immobilier en 2002 « a fait chuter les taux de rentabilité » et en déduisent que le taux de rendement doit être fixé à 3 % au lieu de 5 %.
Une autre aberration économique doit être vigoureusement combattue. L’administration a pris l’habitude d’appliquer le taux de rendement à une valeur actualisée du bien en considération du prix de marché. Or, le rendement d’un investissement doit s’apprécier à sa date de réalisation, surtout lorsque ce placement est réalisé sur un actif peu liquide et peu substituable. A moins d’être marchand de biens, le propriétaire achète sa villa dans la perspective de la conserver plusieurs années. En procédant à une réévaluation annualisée en considération d’un état de marché imprévisible, l’administration introduit une incertitude supplémentaire. En effet, les loyers sont fixés à une date donnée et ne peuvent varier au gré des spéculations de marché, mais seulement en fonction de l’indice retenu habituellement en la matière. Faudrait-il réduire leur montant en cas de baisse ? Car comme le marché immobilier lui-même, il arrive que l’index baisse et le loyer aussi.
Dans cette même affaire, la Cour administrative d’appel de Marseille, rompant avec la pratique antérieure, a préconisé une solution médiane consistant à appliquer le taux de rendement sur la valeur d’origine actualisée de la variation de l’indice du coût de la construction.
En conclusion, les praticiens du droit seront bien inspirés dès le déclenchement du contrôle d’ouvrir les fenêtres et de décrire à l’inspecteur et au juge le monde tel qu’il est devenu, celui des taux d’intérêts faibles voire négatifs pour les placements sans risque.