Par deux décisions du 12 octobre 2018 (n° 423044 et 423118), le Conseil d’Etat a donc renvoyé à la CJUE la double question préjudicielle suivante :

1° Les dispositions de l’article 8 de la directive du 19 octobre 2009 doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles font obstacle à ce que la plus-value réalisée à l’occasion de la cession des titres reçus à l’échange et la plus-value en report soient imposées selon des règles d’assiette et de taux distinctes ?
2° Ces mêmes dispositions doivent-elles en particulier être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à ce que les abattements d’assiette destinés à tenir compte de la durée de détention des titres ne s’appliquent pas à la plus-value en report, compte tenu de ce que cette règle d’assiette ne s’appliquait pas à la date à laquelle cette plus-value a été réalisée, et s’appliquent à la plus-value de cession des titres reçus à l’échange en tenant compte de la date de l’échange et non de la date d’acquisition des titres remis à l’échange ?

Nous avons déjà commenté (https://blog.bornhauser-avocats.fr/index.php/2018/10/04/plus-value-en-report-dimposition-une-lueur-despoir-pour-les-contribuables/) les conséquences que nous espérons que la CJUE, puis le Conseil Constitutionnel et le Conseil d’Etat, tireront des réponses à ces questions pour l’application des abattements pour durée de détention aux plus-values en report. Mais c’est en réalité toute la conception française des la notion de report d’imposition des plus-values en cas d’échange de titres issue de la jurisprudence Chaisemartin (CE 10 avril 2002, n° 226886) qui se trouvera remise en cause. Et avec elle le texte qui s’est assis dessus : l’article 150-0B ter.

Conçu initialement pour permettre à l’administration d’avoir connaissance du montant des plus-values d’échange constatées, ce régime a ultérieurement évolué vers un système de détermination de l’assiette des plus-values des titres échangés totalement autonome du droit commun. La plus-value d’échange va conserver le régime fiscal qui était le sien lors de l’échange, de même que la plus-value constatée sur les titres reçus en échange depuis l’opération. C’est ainsi qu’une plus-value d’échange intervenue fin 2012 dont les titres reçus sont cédés en 2018 sera taxée à 24 ou 19 % (hors prélèvements sociaux), alors que la plus-value constatée depuis 2012 bénéficiera de la flat tax à 12,8 %. Si l’échange était intervenu en 2013, c’est au barème progressif avec application – ou pas – d’abattements pour durée de détention que la plus-value en report sera imposable.

Si le succès était au rendez-vous de notre contentieux, il existe une catégorie relativement marginale de contribuables qui pourraient nous en vouloir : ceux qui ont constaté entre 2013 et 2016 des plus-values en report bénéficiant de l’abattement pour durée de détention majoré de 85 %. En effet, leur plus-value en report ne supportera actuellement que l’impôt sur le revenu (hors prélèvements sociaux) au taux marginal maximum de 6,75 % versus 12,8 %. Cela dit, il est probable que la garantie des droits visée à l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 devrait les protéger contre ce dégât collatéral.

Le même jour (n° 422618), le Conseil d’Etat a renvoyé au Conseil Constitutionnel notre QPC sur le plafonnement de l’IFI, la Cour de cassation étant saisie d’une QPC similaire sur les dispositions identiques en matière d’ISF. Par ailleurs, nous avons introduit une réclamation contentieuse au nom d’un client pour réclamer que l’application du plafonnement en matière d’ISF tienne compte de l’inflation dans l’hypothèse d’une plus-value sur biens meubles (en l’occurrence, de l’or physique).

En supposant que le Conseil Constitutionnel nous donne gain de cause sur l’IFI, comment va régir l’administration sur l’ISF ? Va-t-elle spontanément accepter de nous donner satisfaction ou va-t-elle nous obliger à aller à chaque fois devant le Conseil Constitutionnel au motif que les textes applicables sont différents, comme elle l’a fait à propos de la prise en compte dans le calcul des prélèvements sociaux de la majoration de 25 % de certains revenus créée à la suite de l’incorporation en 2006 dans le barème de l’impôt sur le revenu de l’abattement de 20 % dont bénéficiaient les salariés ? Et comment vont se comporter les magistrats des juridictions suprêmes, Cour de cassation en tête ? Vont-ils refuser de transmettre la QPC sur l’ISF au motif que la question aura déjà été tranchée pour l’IFI compte tenu de la similitude de la rédaction des textes ?

Telles sont les passionnantes questions dont nous aurons bientôt les réponses.