On sait que par une décision n° 435562 rendue le 23 janvier 2020, le Conseil d’Etat a annulé la doctrine administrative qui définissait les critères à respecter pour que les titres d’une société ayant une activité mixte mais professionnelle à titre prépondérant puissent bénéficier de l’abattement de l’article 787 B du CGI (https://blog.bornhauser-avocats.fr/index.php/2020/01/23/succes-de-notre-recours-contre-linstruction-commentant-le-regime-dutreil/).


La lecture des conclusions du Rapporteur Public Romain Victor a manifestement causé quelques sueurs froides à certains praticiens. En effet, ce dernier s’est permis quelques commentaires « en passant » qui, bien que n’ayant rien à voir avec la solution du litige, ont suscité un vif émoi. Jugez-en plutôt :
« Enfin, il nous paraît important de signaler que la portée de votre décision sera cantonnée au champ de la mesure d’allégement de droits demutation à titre gratuit et n’aura pas mécaniquement d’effet sur la portée de l’exonération. Pour être clair : ce que vous déciderez, si vous nous suivez, permettra aux détenteurs de parts ou actions d’une société exerçant une activité principalement industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale de souscrire les engagements de conservation Dutreil, mais ne préjugera pas de la question, à notre avis distincte, de savoir si l’allégement de droits demutation portera sur une valeur vénale égale à 100 % des titres transmis, ou s’il conviendra de n’appliquer l’exonération qu’à une fraction de cette valeur correspondant à la fraction de l’activité éligible. Nous relevons sur ce point qu’une exonération appliquée sur la valeur totale serait susceptible de provoquer un effet d’aubaine pour les contribuables actionnaires de leur entreprise ; ceux-ci pourraient être tentés de loger dans leur société des actifs patrimoniaux pour qu’ils bénéficient, à titre collatéral, de l’application des dispositions de l’article 787 B du CGI, ce qui ne serait pas sans soulever une question au regard du principe d’égalité ».


Romain Victor pose une question en forme de réponse et soutient implicitement mais nécessairement que l’abattement Dutreil doit être limité, en cas d’activité mixte, à la part professionnelle des actifs transmis.


Certes, un régime dérogatoire doit être interprété strictement mais force est ici de constater que la position qu’il soutient ne trouve strictement aucun écho dans la lettre de l’article 787 B, qui applique l’abattement aux titres de sociétés exerçant une activité professionnelle remplissant certaines conditions de détention et de direction. On ne trouve en revanche rien sur l’exclusion des actifs non professionnels et on pourrait même être tenté de soutenir qu’une société exerçant une activité professionnelle non prépondérante devrait voir ses titres bénéficier en totalité de l’abattement…


L’administration fiscale ne dit pas autre chose puisque dans une Réponse BOBE qui a été reprise au BOFiP, elle considère que les titres d’une société exerçant une activité mixte sont éligibles à l’abattement pour leur valeur totale (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 20). Cette doctrine se limitant à commenter une loi qui ne dit en substance pas autre chose, l’application de la règle qu’elle rappelle n’est donc pas limitée à son entrée en vigueur. En d’autres termes, elle ne constitue selon nous pas une doctrine illégale mais opposable à l’administration sur le fondement de l’article L 80 A du LPF. Le fait pour l’administration de rapporter sa doctrine ne privera donc pas les transmissions à titre gratuit des titres de sociétés ayant une activité mixte du bénéfice du régime « Dutreil » pour leur valeur totale.


Nous rejoignons bien volontiers Romain Victor sur ses doutes quant à la constitutionnalité de la règle en l’état. Cela dit, on n’imagine pas l’administration redresser des contribuables ayant transmis des titres de sociétés ayant une activité mixte sur le fondement de l’inconstitutionnalité de la loi et saisir les tribunaux d’une QPC sur ce fondement si ces derniers contestent le redressement…


Ce que l’on imagine en revanche plus volontiers, c’est que dans l’avenir, l’article 787 B soit modifié pour exclure les actifs non professionnels du bénéfice de l’abattement. Règle qui soulèvera les mêmes difficultés sans fin que l’exonération de l’outil de travail en présence d’actifs patrimoniaux. Car au-delà de « l’effet d’aubaine » caricatural que le Rapporteur Public mentionne dans ses conclusions et que nous n’avons pour notre part jamais rencontré, c’est toute la problématique de l’intérêt ou de la nécessité des actifs patrimoniaux pour la société concernée qui va resurgir, avec son cortège de subjectivité qui en fait un nid à contentieux.


En lançant ce contentieux de bon sens, nous n’imaginions pas ouvrir cette boite de Pandore. Cela nous apprendra à saisir le juge administratif d’une question qui relevait du juge judiciaire.