Les années se succèdent depuis l’entrée en vigueur, en 2011, de la contribution spécifique aux retraites chapeau prévue par l’article L. 137-11-1 du Code de la sécurité sociale, sans que les bénéficiaires de telles pensions qui résident à l’étranger n’aient renoncé à faire valoir leur qualité de non-résidents pour tenter d’y échapper.

Ce contentieux a naturellement donné lieu à des solutions jurisprudentielles sur la territorialité de la contribution litigieuse, solutions qui semblaient s’être figées sur un arrêt Boizette de la Cour d’Appel de Paris en date du 27 octobre 2014 (Paris, Pôle 6 – Ch. 12, n° 13/10838), lequel énonçait deux positions distinctes :

– d’une part, la contribution revêtait selon la Cour « la nature d’une cotisation de sécurité sociale du fait de son affectation exclusive au financement des divers régimes de sécurité sociale ». En conséquence, c’était « à juste titre que les premiers juges [avaient] décidé [que le demandeur] ne pouvait pas se prévaloir de la convention fiscale franco-marocaine pour refuser le paiement de la cotisation de sécurité sociale assise sur la pension de retraite qui lui est versée » ;

– d’autre part, la Cour considérait que « les personnes ayant exercé leur activité salariée en France sont redevables de cette contribution même si elles résident en dehors du territoire français depuis leur retraite, sauf si elles se sont affiliées au régime de sécurité sociale de leur nouvel Etat de résidence », ne déboutant en conséquence le demandeur que parce qu’il « se born[ait] à faire état de sa résidence fiscale au Maroc sans justifier qu’il s’[était] également affilié au régime de sécurité sociale de son pays de résidence ».

L’exclusion de l’application des conventions fiscales était ainsi assortie d’une consolation « sociale », consolation dont l’application nous paraissait toutefois bien incertaine. En effet, les juges du 1er degré confrontés à l’application de la jurisprudence de la Cour d’Appel de Paris ont surtout exigé, en fait d’affiliation des demandeurs au régime de sécurité sociale de leur Etat de résidence, la preuve de leur « désaffiliation » du régime de sécurité sociale français !

Or, les bénéficiaires d’une pension de retraite française sont en principe assujettis de plein droit à l’assurance maladie obligatoire française, sauf à ce qu’ils puissent revendiquer l’application d’un traité les en dispensant, comme la réglementation communautaire relative à la coordination des systèmes de sécurité sociale.

Il conviendra de rappeler à cet égard qu’il ne suffit pas de résider dans un Etat couvert par cette réglementation pour prétendre échapper au système français : s’agissant des retraités, le règlement communautaire prévoit en effet que l’Etat compétent pour appliquer sa législation sociale est avant tout l’Etat qui verse les pensions. Le critère de l’Etat de résidence intervient uniquement en départage pour les bénéficiaires de pensions versées par plusieurs pays.

Le bénéfice effectif de la jurisprudence de la Cour d’Appel de Paris était ainsi cantonné à d’assez rares situations de résidents étrangers pouvant se prévaloir d’une pension de retraite reçue dans leur Etat de résidence. Nous avons toutefois bien obtenu, sur cette base, une décision du TASS de Paris en date du 31 juillet 2015 condamnant l’URSSAF d’Ile-de-France à restituer la contribution précomptée sur la retraite chapeau d’un résident Suisse qui était également bénéficiaire d’une pension Suisse.

Ce cas spécifique des « poly-pensionnés » n’en a pas moins une portée bien faible au regard de la brèche que vient d’ouvrir la Direction de la Législation Fiscale (DFL) dans la prise de position formelle obtenue par notre cabinet que nous mentionnions dans notre actualité du 21 juin 2015.

Nous restions en effet très sceptiques à l’égard de la position de principe de la Cour d’Appel de Paris tenant à l’inapplicabilité des conventions fiscales en raison de la prétendue « nature de cotisation de sécurité sociale » de la contribution, qui résulterait « de son affectation exclusive au financement des divers régimes de sécurité sociale ».

En effet, le critère pertinent pour déterminer si un prélèvement obligatoire est une imposition au sens des conventions fiscales, ou au contraire une cotisation sociale située hors du champ d’application de ces conventions, n’est à l’évidence pas l’affectation budgétaire de ce prélèvement.

Or, il découlerait de la position de la Cour d’Appel de Paris que l’Etat signataire d’une convention fiscale pourrait se soustraire avec une grande facilité à ses engagements et procéder à la taxation d’éléments de revenus, fussent-ils imposables par son cocontractant et non par lui aux termes de la convention, sur la seule base de l’affectation du produit de cette taxation à des dépenses relevant du domaine de la sécurité sociale. Telle n’est certainement pas la perspective des Etats contractants lors de la signature d’une convention bilatérale.

De plus, force est de constater que les conventions fiscales ne portent aucune définition mutuelle des dépenses relevant du domaine de la sécurité sociale, alors que les pratiques retenues d’un Etat à l’autre sont extrêmement variables.

C’est probablement la raison pour laquelle les commentaires de l’OCDE relatifs au modèle type de convention fiscale à destination des Etats retiennent, non pas un critère tiré de l’affectation budgétaire du produit d’un prélèvement, mais un critère tiré de l’existence ou non d’une contrepartie à ce prélèvement. Ainsi, les cotisations sociales ne sont exclues du champ d’application des conventions fiscales que « parce qu’il y a un lien direct entre la contribution et les avantages individuels reçus en contrepartie ».

Or, est-il besoin de préciser que le paiement de la contribution sur les retraites chapeau prévue par l’article L. 137-11-1 du Code de la sécurité sociale n’ouvre aucun avantage individuel en contrepartie ?
Si l’on peut comprendre que les juges du contentieux de la sécurité sociale aient pu se méprendre sur la portée de normes qu’ils n’ont habituellement pas vocation à appliquer, tel ne pouvait pas être le cas de la DLF, dont les missions incluent spécifiquement la négociation et le suivi des conventions fiscales conclues par la France.

Il n’est pas certain que la Cour d’Appel de Paris ait l’opportunité de revoir sa jurisprudence à la lumière de la position de la DLF puisque les URSSAF semblent se résigner à faire directement application de cette dernière. Le dernier recours que nous avons engagé contre une URSSAF de région s’est en effet soldé par un désistement à quelques jours de l’audience, notre contradicteur nous ayant confirmé le bien-fondé de notre position et le remboursement amiable à notre client des contributions indûment prélevées sur ses pensions depuis 2011.

Comme nos autres clients, nous formons des vœux pour cette position de bon sens « monte » à Paris.