Le 17 septembre 2015, le Conseil Constitutionnel a rejeté la Question Prioritaire de Constitutionnalité que nous lui avions posée et a donc jugé valide la loi instaurant une amende de 1.500 € par compte et par an, montant porté à 10.000 € lorsque le compte est ouvert dans un État non lié à la France par un traité prévoyant l’assistance administrative en matière bancaire.

Si nous nourrissions assez peu d’espoir d’obtenir l’invalidation de cette amende, nous espérions que notre demande subsidiaire tenant à obtenir que le juge de l’impôt ait le pouvoir de moduler le montant de l’amende serait considérée avec bienveillance.

Hélas, les neuf sages se sont montrés également intraitables sur ce point et l’on peut aujourd’hui considérer la question de la modération des pénalités fiscales par le juge administratif de l’impôt comme définitivement réglée.

Pour notre client, le combat continuera devant le juge de l’impôt pour obtenir au moins la décharge de l’amende de 10.000 € qui lui a été infligée au titre de l’année 2009 au motif que son compte suisse n’ayant pas fonctionné cette année-là, il n’était pas tenu de le déclarer.

Pour permettre au lecteur de se faire sa propre idée du débat sur cette question, nous mettons en ligne les liens vers la décision rendue par le Conseil Constitutionnel et l’audience devant lui, ainsi que le texte des observations orales de Marc Bornhauser.

La décision : http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-depuis-1959/2015/2015-481-qpc/decision-n-2015-481-qpc-du-17-septembre-2015.144355.html

L’audience : http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/videos/2015/septembre/affaire-n-2015-481-qpc.144335.html

Monsieur le Président,
Messieurs les Membres du Conseil Constitutionnel,

Le IV de l’article 1736 du CGI réprime d’une amende de 1.500 € par compte les manquements à leurs obligations déclaratives des contribuables français qui ont ouvert, utilisé ou clos un compte bancaire hors de France, ce montant étant porté à 10.000 € par compte non déclaré lorsque l’obligation déclarative concerne un Etat ou un territoire qui n’a pas conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales permettant l’accès aux renseignements bancaires.

Ce texte prévoit donc l’application d’une sanction d’un montant forfaitaire pour réprimer le défaut de déclaration de l’existence d’un compte bancaire ouvert, utilisé ou clos à l’étranger, avec un taux différent selon que l’Etat dans lequel a été ouvert le compte bancaire est ou non lié à la France par une convention qui autorise le fisc à obtenir les informations bancaires.

Nous entendons démontrer que ce texte n’est pas conforme aux principes de proportionnalité et d’individualisation des peines garantis par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

1. Sur le principe de proportionnalité des peines

Votre jurisprudence exige qu’une sanction revête un lien suffisamment étroit avec l’infraction qu’elle est censée punir. Ne répondent donc pas à ces caractéristiques les amendes présentant un lien soit irrationnel, soit disproportionné avec la faute commise.

En matière fiscale, la proportionnalité et la rationalité sont généralement assurées par l’application d’un taux proportionnel au montant des droits éludés.

Toutefois, rien de tel pour l’amende de l’article 1736 IV : quel que soit le montant du compte non déclaré et les raisons pour lesquelles le contribuable l’a ouvert, l’amende est forfaitaire et s’applique sans remise ni modération, compte tenu de la jurisprudence du juge administratif de l’impôt qui, contrairement au juge civil, refuse de modérer le montant des pénalités et amendes.

Certes, vous estimez que le législateur dispose d’une large marge d’appréciation pour assurer la répression effective des règles qu’il édicte compte tenu de la gravité des infractions qu’elles sanctionnent.

Mais vous avez aussi jugé non conformes à ce principe de proportionnalité des amendes forfaitaires d’un faible montant qui, par leur répétition, pouvaient aboutir à des montants importants qui se seraient alors trouvés déconnectés de l’infraction commise (Décision n° 97-395 DC du 30 décembre 1997, Loi de finances pour 1998, cons. 39).

Or, non seulement cette amende n’est pas en soi d’un faible montant, même pour son montant de base (1.500 €), mais elle peut revêtir un montant très important car elle s’applique à chaque compte détenu et non déclaré et pour chaque année, dans la limite d’une prescription qui peut aller jusqu’à cinq années. Étant forfaitaire, cette amende pèsera très lourdement sur les petits comptes alors que les comptes très importants la ressentiront proportionnellement beaucoup moins. Où se trouve la proportionnalité de la mesure ? Où se trouve le lien rationnel avec la gravité de l’infraction commise ?

Et au cas particulier, elle se trouve correspondre à 87 % du montant du compte non déclaré par M. et Mme B., ce qui, vous en conviendrez, opère une véritable spoliation au détriment du contribuable à qui, je le rappelle, aucun autre manquement – en particulier des droits éludés – n’a été reproché.

2. Sur le principe d’individualisation des peines

Votre jurisprudence a validé la grille d’analyse du Conseil d’Etat qui considère que lorsque le législateur a prévu la mise en place d’un barème pour sanctionner les différentes variations de comportement du contribuable en fonction de la gravité de celui-ci, le principe d’individualisation des peines était respecté.

La question est donc de savoir si l’existence d’un montant différencié de l’amende en fonction de l’Etat dans lequel le compte est ouvert constitue un tel barème.

Nous ne le pensons pas, car la distinction selon le lieu de situation du compte est sans lien avec le montant de l’amende.

En effet, en l’absence d’échanges automatiques d’information en matière bancaire avec les États étrangers (situation qui sera vraisemblablement amenée à évoluer à l’horizon de l’année 2018), l’absence de déclaration du compte étranger place l’administration fiscale dans la même situation vis-à-vis du contribuable, que le compte soit ouvert dans un État coopératif ou non, puisque ignorant l’existence du compte, elle ne dispose d’aucun moyen externe d’identifier les contribuables concernés.

L’administration étant placée dans la même situation vis-à-vis du contribuable quel que soit l’Etat étranger dans lequel le compte a été ouvert, il n’y a en pratique aucune raison rationnelle de traiter le contribuable différemment en fonction des relations qu’entretient la France avec cet État. Relations qui sont d’ailleurs susceptibles d’évoluer puisque la Suisse ayant conclu avec la France une telle convention, M. et Mme B. se trouvent sanctionnés par l’amende majoré pour l’année 2009 et par l’amende simple pour l’année 2010.

De plus, le fait pour un contribuable de déclarer l’existence d’un compte ouvert dans un État non coopératif ne permettra pas pour autant à l’administration d’exercer son pouvoir de contrôle, puisque sans la participation volontaire du contribuable, elle ne pourra pas obtenir par ses propres moyens les documents bancaires le concernant.

Il n’y a donc aucune rationalité à dissuader les contribuables qui ouvrent des comptes dans des États non coopératifs de ne pas les déclarer en les sanctionnant par une amende plus lourde.

En conclusion, nous ne sommes pas en présence d’une amende dont les variations du montant légal s’insèrent dans la grille de lecture de la jurisprudence relative à l’individualisation des peines. Nous sommes donc en présence d’une amende forfaitaire dont le montant peut parfaitement, comme en l’espèce, revêtir un caractère excessif au regard de la gravité du manquement commis.

Si l’on quitte un instant la matière fiscale pour considérer la matière pénale, nous vous rappelons que vous avez également admis le caractère constitutionnel des peines dites « planchers » dans votre décision n° 2007-554 DC du 9 août 2007 relative à la loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs.

Dans votre considérant n° 11, vous avez en effet précisé que : « Considérant qu’eu égard à ces éléments de gravité (la peine plancher ne s’applique aux délits d’atteintes aux biens que lorsqu’ils ont été commis avec une circonstance aggravante de violences ou qu’ils sont punis d’une peine de dix ans d’emprisonnement), l’instauration de peines minimales d’emprisonnement à environ un tiers de la peine encourue, soit le sixième du quantum de la peine que la juridiction peut prononcer compte tenu de l’état de récidive légale, ne méconnaît pas le principe de nécessité des peines ».

Or, une peine plancher, c’est par essence une peine forfaitaire puisque le juge ne peut pas descendre dessous s’il constate que l’infraction a bien été commise.

Force est donc de constater que la condition à laquelle vous avez subordonné la conformité de ce plancher au principe d’individualisation des peines, à savoir l’existence d’une infraction d’une gravité certaine, fait en l’espèce manifestement défaut. Même si la fraude fiscale est un délit grave qui peut être réprimé par une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 7 ans, le texte de l’article 1741 du CGI ne permet en tout état de cause pas de poursuivre un contribuable pour fraude fiscale si ce dernier n’a pas causé au Trésor public un préjudice d’au moins 153 €. Or, ce minimum de 153 € n’est pas systématiquement avéré en cas d’absence de déclaration d’un compte étranger, comme l’illustre d’ailleurs la présente affaire où aucun préjudice envers le Trésor n’a été constaté par l’administration.

3. Quelle sanction pour ce texte ?

Pour tous les motifs invoqués précédemment, vous pourrez sanctionner le IV de l’article 1736 du CGI en prononçant son inconstitutionnalité. S’agissant d’une sanction revêtant un caractère pénal, il nous paraît difficile que vous réserviez le bénéfice de votre décision aux seuls contribuables ayant contesté cette amende avant le prononcé de votre décision.

Nous sommes toutefois conscients de la portée que revêtirait votre décision en plein milieu de la campagne de régularisation des comptes non déclarés actuellement en cours dans le cadre de la circulaire ministérielle « Cazeneuve ». En effet, elle aboutirait à traiter différemment les contribuables repentis qui auraient eu la malchance de signer une transaction avec l’administration avant votre décision de ceux qui auraient eu au contraire la chance d’attendre encore leur transaction à cause des longs délais de traitement du Service de Traitement des Déclarations Rectificatives.

C’est pourquoi nous nous permettons de vous suggérer une voie médiane entre annulation et confirmation : la confirmation avec réserve d’interprétation. En effet, le plus choquant finalement dans cette affaire, c’est l’impossibilité dans laquelle se trouve le juge de l’impôt de moduler le montant de l’amende infligé par l’administration pour tenir compte des circonstances particulières de l’espèce du fait de la jurisprudence du Conseil d’Etat qui, contrairement d’ailleurs à la Cour de cassation, refuse au juge tout pouvoir de modération des pénalités et amendes fiscales.

Si vous rétablissez ce pouvoir au moyen d’une réserve d’interprétation, en rappelant que pour les amendes totalement ou partiellement forfaitaires, le juge doit pouvoir moduler leur montant pour tenir compte des circonstances de chaque espèce, vous permettrez aux principes de proportionnalité et d’individualisation des peines, dont le juge est après tout le meilleur garant, d’être parfaitement respectés.

Pourquoi inclure expressément les amendes partiellement forfaitaires ? Pour régler dès maintenant la nouvelle version de l’article 1736 IV du CGI qui, depuis l’année 2011, prévoit une taxation proportionnelle avec un minimum égal à l’amende forfaitaire dont vous avez à connaître aujourd’hui. S’agissant en effet maintenant d’une peine plancher, il serait important que le juge puisse minorer le plancher si nécessaire.

Pour tous ces motifs, nous vous demandons :

– à titre principal, de bien vouloir prononcer l’inconstitutionnalité de l’amende forfaitaire de l’article 1736 IV du CGI,

– subsidiairement, de la valider au motif qu’en présence d’amendes totalement ou partiellement forfaitaires, le juge peut fixer lui-même le montant de l’amende pour tenir compte des circonstances de l’affaire dont il est saisi.