Qu’est-ce qu’un Intérêt Moratoire ?
On sait qu’en application d’une jurisprudence constante, les intérêts moratoires sont soumis au même régime fiscal que les sommes auxquelles ils se rapportent et dont ils ne sont que l’accessoire (CE 4 décembre 1992, n° 83205, Section, Brossard ; RJF 1/93 n° 3, avec les conclusions de Mme Hagelsteen, commissaire du Gouvernement ; Note 19 avril 1994 ; 5 I-2-94). Lorsque les sommes en question se rapportent à une plus-value de cession de titres réalisée par un particulier, les intérêts moratoires sont donc imposables selon de régime des plus-values de valeurs mobilières et de droits sociaux (CE 11 juillet 2011, n° 328792, Billot ; RJF 11/11 n° 1120, concl. L. Olléon au BDCF 11/11, n° 119).
La question de savoir si les sommes perçues par un vendeur revêtent la nature d’intérêts moratoires est donc particulièrement cruciale puisqu’elle va conditionner leur régime fiscal.
Dans une décision du 9 juillet 2015 (n° 14PA03849), la Cour Administrative d’Appel de Paris a eu à connaître de l’affaire suivante. Une société civile de portefeuille fiscalement translucide avait acquis des titres de plusieurs sociétés qu’elle avait vendus à un tiers. Toutefois, l’un de ses co-associés a contesté sa propriété des titres en engageant diverses actions en justice. En particulier, il a obtenu du juge que le prix de vente des titres cédés soient séquestré dans l’attente de la décision qui statuera sur leur propriété. Les fonds séquestrés ont été placés par le séquestre judiciaire et ont produit des intérêts qui ont été finalement versés, avec le prix de vente, à la société civile après qu’elle a gagné ses différents procès contre son co-associé.
La société civile ayant considéré avoir perçu des intérêts moratoires, elle ne les pas déclaré sur la déclaration des intérêts (« IFU ») que doivent souscrire les personnes qui versent des intérêts. Contestant cette qualification, l’administration lui a infligé la pénalité de 50 % pour sanctionner cette absence de déclaration.
Suivant les premiers juges, la Cour Administrative d’Appel de Paris lui a donné raison au motif que le retard apporté à la jouissance des sommes séquestrées ne pouvant être imputé au séquestre, les intérêts versés ne pouvaient être qualifiés d’intérêts moratoires.
Cette décision nous semble critiquable à un double titre.
En premier lieu, l’ordonnance de séquestre précisait expressément que le séquestre recevait le prix de vente pour le compte de l’acquéreur. Le versement au séquestre par ce dernier ne pouvait donc le libérer de son obligation au paiement. Libération qui n’est intervenue que trois ans plus tard, lorsque le séquestre, en sa qualité de représentant de l’acquéreur, a versé le prix au vendeur.
En recherchant un retard de paiement spécifiquement imputable à la personne du séquestre, la Cour méconnaît sa qualité de mandataire, qualité dont il résulte par définition qu’il doit être considéré comme un intermédiaire transparent.
En second lieu, en retenant une définition restrictive des intérêts moratoires, la Cour s’écarte manifestement de la jurisprudence Brossard. Comme l’énonce le commissaire du gouvernement dans ses conclusions rendues sur cet arrêt,… « Le champ d’application des intérêts moratoires apparaît […] extrêmement vaste, ce qui rend d’autant plus délicate la question de savoir à quel régime fiscal ils doivent être soumis une fois qu’ils sont perçus ».
En effet, la caractéristique essentielle des intérêts moratoires ne tient pas à l’identité de la personne qui les paie ni de celle qui les reçoit mais à leur objet. C’est d’ailleurs cette position qui est retenue par la doctrine fiscale qui considère que… « Les intérêts moratoires ont, en règle générale, pour objet de compenser le préjudice lié au paiement tardif d’une créance » (BOFIP BOI-CTX-DG-20-50-20120912 n° 1).
Or, la société civile a bien été privée du bénéfice de la perception immédiate de sa créance, dont elle n’a été payée que 3 ans plus tard, et les intérêts qu’elle a perçus ont bien eu pour objet et pour effet de compenser ce préjudice.
En conclusion, l’affaire étant portée devant le Conseil d’Etat, on suivra avec intérêt la position qu’il prendra sur une question qui, à ce jour, ne nous paraît pas réglée de manière satisfaisante.