Par un arrêt n° 17-15621 du 7 mai 2019, la chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé que lorsqu’une personne morale consent une donation indirecte à une personne physique sous la forme d’une minoration de prix de vente, cette libéralité est taxable aux droits de mutation à titre gratuit (DMTG) au taux de 60 % applicable entre non-parents.


Elle tranche ainsi une vieille controverse, plusieurs auteurs soutenant que les DMTG ne pouvaient par construction pas être dus lorsque le donateur n’était pas une personne physique. La cour de cassation leur donne tort de la manière la plus nette possible, en ne donnant aucune publicité au Bulletin à sa décision, marquant ainsi le caractère évident -selon elle – de son sens.


Cette décision n’est clairement pas une bonne nouvelle pour les contribuables qui concluent des transactions trop avantageuses avec des entreprises qu’ils contrôlent et/ou dirigent. On sait en effet que les libéralités octroyées par les sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés à des associés et/ou dirigeants peuvent, lorsque les conditions des articles 109 et suivants du CGI sont remplies, être considérées comme des revenus distribués entre les mains de ces derniers, subissant l’impôt sur le revenu sur 125 % de leur montant (sous réserve que cette règle ne soit pas invalidée par le Conseil Constitutionnel :https://blog.bornhauser-avocats.fr/index.php/2019/04/23/imposition-des-revenus-occultes-et-normes-constitutionnelles-le-conseil-detat-nous-donne-raison/), ainsi que les prélèvements sociaux au taux de 17,2 %, sans préjudice des pénalités de 40 % pour manquement délibéré appliquées systématiquement par l’administration.


Devant la cour de cassation, le contribuable a tenté de plaider qu’il avait bénéficié en tant que dirigeant de la société d’une avantage occulte au sens de l’article 111 c) du CGI, argument que la cour a balayé comme irrecevable faute d’avoir été présenté devant les juges du fond. Mais même s’il avait été recevable, nous ne voyons pas en quoi l’argument aurait pu porter puisque aucune disposition des articles 109 et suivants n’écarte leur application lorsque l’opération constitue également une libéralité entrant dans le champ des DMTG.


Il nous semble toutefois que mieux présenté, l’argument aurait eu plus de poids : en effet, l’article 111 c) vise certes les avantages occultes, mais également les rémunérations occultes. Or, qui dit rémunération dit contrepartie, donc absence d’intention libérale. Il conviendra d’attendre de voir comment le juge recevra l’argument lorsqu’il lui sera correctement servi.

Un autre argument pertinent ne semble pas avoir été invoqué par le contribuable : l’abus de droit rampant. Celui-ci semble s’être accommodé de la qualification de donation indirecte de la cession à prix minoré. Toutefois, dans ce type d’opérations où il n’y a guère de place pour l’erreur d’appréciation, puisque l’acquéreur contrôle le cédant (ou l’inverse pour les cessions à prix majoré), on se trouve généralement en présence d’une donation déguisée en vente. Or, la différence entre donation indirecte et donation déguisée est procédurale mais fondamentale : la seconde relevant de l’abus de droit, l’administration doit, sous peine de nullité de la procédure, octroyer au contribuable les garanties dont cette procédure particulière est assortie. Là encore, l’avenir nous dira si l’argument portera.
Il semble donc qu’en présence d’une opération de ce type réalisée au détriment d’une société soumise à l’impôt sur les sociétés, l’administration ait le choix des armes entre :

  • taxation de la libéralité aux DMTG à 60 % (majorés de 80 % de pénalités, soit un taux réel de 108 % de l‘insuffisance de prix), ou
  • imposition des revenus distribués taxés à l’impôt sur le revenu sur 125 %, soit un taux pour la dernière tranche du barème de 56,25 %, majoré des prélèvements sociaux (17,2 %) et, éventuellement, de la Contribution sur les Hauts Revenus (3 puis 4 %), l’ensemble étant assorti de la pénalité de 40 % pour manquement délibéré (soit un total de 108,43 % d’un revenu égal à l’insuffisance de prix).

En revanche, toute velléité d’appliquer à la fois les DMTG et les revenus distribués se heurterait selon nous au principe constitutionnel d’égalité devant les charges publiques, un même contribuable ne pouvant subir au titre de la même opération une imposition totale excédant 100 % du revenu réalisé et/ou la libéralité perçue hors pénalités.


En définitive, l’apport principal de cette décision semble être de reconnaître à l’administration le droit de soumettre aux DMTG les opérations commises au détriment d’une société lorsque celle-ci ne relève pas de l’impôt sur les sociétés ou lorsque les conditions d’application des revenus réputés distribués ne sont pas remplies (société déficitaire par exemple).