En Droit français, un dirigeant  peut être condamné pour fraude fiscale même si son entreprise  n’est pas redevable de l’impôt prétendument fraudé.

La décision du juge de l’impôt est dépourvue, au pénal, d’autorité de la chose jugée. Le principe a longtemps été considéré comme ne souffrant aucune exception. La Cour de Cassation exprimait cette position de la façon suivante : « Les poursuites pénales instaurées sur les bases de l’article 1741 du CGI et la procédure administrative tendant à fixer l’assiette et l’étendue des impositions fiscales sont, par leur nature et leur objet, différentes et indépendantes l’une de l’autre » (Cass. Crim, 9 avr. 1970 n° 68-92.282 ; avec une rédaction quasi identique, 42 ans plus tard : Crim, 13 juin 2012, n°11-84.092).

On comprend ainsi que chaque instance a, pour l’Etat demandeur au procès, un but distinct. Devant le Juge pénal, il demande, au nom de la Société, la réparation du dommage causé par la fraude à l’Ordre Public ; devant le Juge fiscal, l’Etat défend les finances publiques (En ce sens : Avis du CE n° 183658, Jammet et concl. Loloum, Droit fiscal 1997, n° 24).

Cette jurisprudence a évolué à la suite d’un arrêt de la CJUE (Hans Åkerberg Fransson n° C-617/10 du 26 février 2013), puis de la CEDH (Kapetanios et autres c Grèce, 30 avril 2015, n° 3453/12), puis de deux réserves d’interprétation du Conseil Constitutionnel (2015-545 QPC et 2015-546 QPC du 24 juin 2016). 

La Cour de Cassation a forgé sa propre doctrine, différente de celle de la CEDH, par un arrêt du 11 Septembre 2019 (Cass. crim 11 sept. 2019, n° 18-81.980). La Chambre criminelle a ainsi admis qu’eu égard à la réserve d’interprétation du Conseil Constitutionnel à laquelle elle se réfère, sa jurisprudence devait être « infléchie pour limiter le risque de contrariété » entre une décision du Juge de l’Impôt et une décision du Juge pénal. 

La position est désormais la suivante : la saisine du juge de l’impôt n’entraine pas mécaniquement un droit à sursis à statuer. Le Juge répressif peut le prononcer « par exception » s’il estime qu’il en résulte un « risque sérieux de contrariété de décisions ». Ce serait « notamment » le cas, selon la Chambre Criminelle, « si le prévenu a obtenu d’un premier Juge une décharge d’imposition pour un motif de fond ». En revanche, le Juge serait fondé à rejeter la demande de sursis si le prévenu a été débouté de sa demande de dégrèvement par le premier juge, après que la commission départementale et la commission des infractions fiscales n’ont émis aucune objection sur les modalités du contrôle de la comptabilité de la société et les conclusions retenues à l’issue des opérations de contrôle. 

Cette position de la Chambre Criminelle diverge de celle de la CEDH sur plusieurs points. On en relèvera un seul pour les besoins de la présente chronique : pour la CEDH, qui se réfère à l’article 4 du Protocole n° 7, le sursis est la règle : « Le respect de ce principe aurait été assuré si le juge pénal avait suspendu le procès après le déclenchement de la procédure administrative » ; pour la Cour de Cassation, il est l’exception.

Dans cette situation complexe, le danger demeure qu’une personne soit condamnée pour fraude fiscale alors qu’elle n’est pas redevable de l’impôt. Tout va dépendre de la stratégie de procédure. Nous formulons donc quelquesrecommandations à l’attention de nos confrères pénalistes qui défendent des personnes poursuivies pour fraude fiscale :

– en l’absence de contrôle fiscal :

En soi, la poursuite n’est pas irrégulière. Une personne ne peut arguer de ce qu’elle n’a pas fait l’objet d’un contrôle fiscal pour échapper à la condamnation pénale. Le Juge répressif peut entrer en voie de condamnation après avoir déterminé par lui-même, par exemple, que des charges non appuyées de justifications suffisantes ont été déduites du résultat et qu’ainsi l’élément matériel de l’infraction est constitué (Cass Crim, 21 Sept. 2005, n°0487-701).

Dans ce cas, l’intéressé aura intérêt à contraindre l’Administration fiscale à procéder à un contrôle de sa situation. Il existe plusieurs voies de recours et d’actions qui permettent d’aboutir à ce résultat. En cas de refus ou de silence du fisc, la personne saisira le Juge de l’Impôt compétent dans les délais légaux par une requête qui devra être suffisamment motivée pour justifier la demande de sursis.

– à la suite d’un contrôle fiscal non contesté :

Dans ce cas, il y aura lieu de contester le rehaussement si toutefois la contestation n’est pas prescrite et peut être fondée sur un motif sérieux, puis de saisir le Juge de l’Impôt. 

 – à la suite d’un recours devant le Juge de l’impôt :

On peut soutenir, en se référant à une lecture littérale de la décision du Conseil Constitutionnel, que le sursis est de droit, tant que le Juge de première instance ne s’est pas prononcé. Nous pensons toutefois que cette mesure ne sera obtenue que si la défense fiscale est solide et fait apparaître «  un risque sérieux de contrariété de décision » en cas de rejet de cette mesure.

– à la suite d’une décision défavorable du juge de l’impôt en premier ressort :

Si ses moyens de contestation sont solides, le requérant aura intérêt à faire appel d’une décision défavorable. Contrairement à ce que paraît penser la Cour de Cassation, il arrive bien souvent, en matière fiscale, qu’un Jugement soit infirmé, comme ceux relatifs à la notion d’établissement stable, qui donne lieu à un contentieux fiscal et pénal abondant. Sera-t-il possible de demander un sursis de statuer dans un tel cas ? Nous le pensons, à condition d’invoquer et d’expliciter la jurisprudence de la CJUE et de la CEDH. 

Notre cabinet n’intervient pas dans le domaine pénal proprement dit, mais nous pouvons être utiles à nos confrères spécialistes de la matière pour élaborer avec eux une défense fondée sur le droit conventionnel (CJUE, CEDH) et le droit fiscal.