On se souvient que les contribuables qui ont quitté la France entre le 3 mars 2011 et le 31 décembre 2013 ont été soumis sur leurs valeurs mobilières à un impôt sur leurs plus-values latentes et en report qui doit faire l’objet d’un dégrèvement au terme de 8 années d’expatriation, mais que ce dégrèvement ne concerne que l’impôt sur le revenu et pas les prélèvements sociaux.


On se souvient également qu’à compter de 2014, le législateur a porté le délai de 8 à 15 ans, mais que le dégrèvement porte désormais également sur les prélèvements sociaux.


L’un de nos clients était parti en avril 2011 et nous contestions que la loi de finances rectificative pour 2011 du 29 juillet 2011 ait pu rétroagir avant sa présentation en conseil des ministres le 11 mai 2011, mais nous savions qu’il y avait peu de chances que le tribunal nous donne gain de cause compte tenu de la jurisprudence du Conseil d’Etat intervenue depuis (CE 12 juillet 2013, n° 359314).


Le tribunal confirme la solution mais nous ne désespérons pas de nous faire entendre car nous avons du mal à comprendre comment le législateur peut violer une liberté communautaire sans respecter les conditions d’application du droit communautaire.


En effet, la CJUE a jugé en 2002 qu’une mesure nationale susceptible de porter atteinte à l’exercice d’une liberté fondamentale doit être conforme aux droits fondamentaux (CJCE, 11 juillet 2002, Mary Carpenter c/ Secretary of State for the Home Department, aff. C-60/00).


Or, le 3 mars 2011 le ministre n’a nullement informé les contribuables qu’à compter de cette date, les départs de France seraient soumis à un impôt de sortie, de sorte qu’il n’a pas permis à la loi votée postérieurement de rétroagir à cette date dans le respect des principes de sécurité et de confiance légitime du droit communautaire (CJUE 26 avril 2005 aff. 376/02 plén., Stichting « Goed Wonen »).


Nous avions profité de cette requête pour introduire un nouveau moyen contestant le caractère non dégrevable de l’exit tax pour les prélèvements sociaux. Nous considérons en effet que cette caractéristique constitue une violation de la liberté de circulation dans la mesure où elle constitue une restriction disproportionnée par rapport au but à atteindre.


Nous nous fondons pour cela sur l’arrêt Lasteyrie du Saillant (CJUE, 11 mars 2004, Aff. C-9/02) qui a condamné la première mouture de l’exit tax, particulièrement sur son paragraphe 49 : « une mesure qui est susceptible d’entraver la liberté d’établissement consacrée par l’article 52 du traité ne saurait être admise que si elle poursuit un objectif légitime compatible avec le traité et est justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général. Mais encore faut-il, en pareil cas, que son application soit propre à garantir la réalisation de l’objectif ainsi poursuivi et n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci ».

Le tribunal nous donne tort en considérant, dans la lignée d’un autre arrêt du Conseil d’Etat (12 juillet 2013 n° 359994), qu’en permettant un sursis automatique sans garantie, le nouveau régime français satisfait cette condition.


Pour notre part, nous persistons à en douter. En effet, la CJUE ne s’est en réalité pas limitée à la question du sursis. Elle a vérifié si l’objectif envisagé, à savoir empêcher qu’un redevable ne transfère temporairement son domicile fiscal avant de céder des titres mobiliers dans le seul but d’éluder le paiement de l’impôt sur les plus-values dû en France, pouvait être atteint par des mesures moins contraignantes ou moins restrictives de la liberté d’établissement.

Le sursis en était effectivement une, mais prévoir une absence de délai pour l’obtention du dégrèvement de l’impôt nous parait bien en être une autre. Nous poursuivrons donc le combat sur ce point devant la Cour Administrative d’Appel de Paris, en espérant que cette dernière saisisse la CJUE d’une Question Préjudicielle, ce que le tribunal a refusé.


De manière plus anecdotique, le Rapporteur public avait manifesté dans ses conclusions son étonnement sur notre nouveau moyen. Pour lui, les textes (le I de l’article L 136-6 du Coe de la Sécurité Sociale) permettaient déjà le dégrèvement des prélèvements sociaux. Le tribunal n’ose toutefois pas le suivre sur ce terrain et écarte notre moyen sur le fond. Bien lui en a pris : le Rapporteur public n’avait pas lu la bonne version du texte, mais celle applicable depuis 2014.


La fiscalité est parfois une matière technique…