Comment savoir si des dépenses de travaux immobiliers portant sur des locaux d’habitation sont déductibles du revenu foncier ? La matière est régie par le 1° de l’article 31 du CGI. Cette partie du texte n’a quasiment pas été modifiée depuis son entrée en vigueur au 1er Janvier 1995, ce qui constitue, en matière fiscale, une curiosité. Le Conseil d’Etat a fourni les clés de son interprétation par des arrêts déjà anciens. C’est pour les avoir mal utilisées qu’un arrêt confirmatif de la CAA de Bordeaux du 12 Avril 2019 (n°17BX00425) subit les foudres de la cassation.

Les faits sont les suivants : le contribuable achète « une maison de maître et dépendance » Ces locaux abritent les activités d’une association accueillant des enfants, des adolescents et jeunes adultes en difficulté. L’immeuble comporte des chambres et des sanitaires pour les pensionnaires, une salle à manger et une salle de jour, une cuisine , une salle pour le personnel, des salles de réunion, une salle de classe, des ateliers, une salle de psychomotricité, une salle de soins.

Le contribuable est apparemment insensible à l’utilité sociale de cette communauté. Il ne goûte pas la poésie des lieux : l’odeur de l’encre, le crissement de la craie sur le tableau noir, la buée qui s’échappe de la bouche de l’élève astreint à l’effort de l’apprentissage de la lecture, les joyeuses cavalcades dans les couloirs. Il ferme les classes et transforme le centre en 11 appartements qu’il destine à la location.

On imagine l’importance des travaux de réaménagement dont nous épargnerons le détail à nos lecteurs. Il faut aussi refaire les réseaux d’eau, d’électricité, d’évacuation des eaux usées. Mais il n’est pas touché au gros œuvre : l’immeuble demeure dans son jus de maison de maître.

Ces travaux sont ils déductibles ? La Cour de Bordeaux cite d’abord les dispositions utiles de l’article 31 : 

« Les charges de la propriété déductibles pour la détermination du revenu net comprennent : 1° Pour les propriétés urbaines :  a) Les dépenses de réparation et d’entretien effectivement supportées par le propriétaire (…) / b) Les dépenses d’amélioration afférentes aux locaux d’habitation, à l’exclusion des frais correspondant à des travaux de construction, de reconstruction ou d’agrandissement ».

Puis les magistrats reproduisent le pavé explicatif de ce texte, usuellement reproduit dans les arrêts du Conseil d’Etat :

« Au sens de ces dispositions, doivent être regardés comme des travaux de reconstruction les travaux comportant la création de nouveaux locaux d’habitation, notamment dans les locaux auparavant affectés à un autre usage ainsi que les travaux ayant pour effet d’apporter une modification importante au gros œuvre de locaux d’habitation existants ou les travaux d’aménagement interne qui, par leur importance, équivalent à une reconstruction. Doivent être regardés comme des travaux d’agrandissement, au sens des mêmes dispositions, les travaux ayant pour effet d’accroître le volume ou la surface habitable de locaux existants »

Puis la Cour qualifie les travaux réalisés :

« Ces travaux ont eu pour objet le réaménagement complet de l’immeuble, qui n’était que partiellement affecté à l’habitation, et présentent, par suite, en raison de leur ampleur, le caractère de travaux de reconstruction et d’agrandissement. Dès lors, et quand bien même ils n’auraient pas affecté le gros œuvre, ces travaux ne pouvaient être déduits du revenu global de ceux qui les avaient supportés ».

Cette motivation n’est pas très rigoureuse : la Cour juge qu’il s’agit de travaux de réaménagement en raison d’un changement d’usage, alors que le changement d’usage permet seulement de qualifier des travaux de « travaux de reconstruction » et non de « travaux d’aménagement » (voir le pavé ci dessus).

Elle juge également qu’il s’agit de « travaux de reconstruction et d’agrandissement » en raison de leur « ampleur », ce qui ne répond pas non plus à la définition jurisprudentielle de tels travaux (voir le pavé ci dessus).

Surtout, la Cour perd de vue la jurisprudence du Conseil d’Etat sur le changement d’usage. Depuis un arrêt du 20 juin 1997 (CE, Flor-Florentin, n° 137749), il est jugé que lorsqu’un immeuble est destiné originellement à l’habitation, son occupation temporaire pour un autre usage n’est pas de nature, à elle seule, à lui ôter cette destination. La destination d’origine n’est perdue que si l’occupant temporaire a réalisé des travaux modifiant sa conception, son aménagement ou ses équipements. Il en résulte, en l’absence de tels travaux antérieurs, qu’en cas de retour à la destination d’origine, les travaux réalisés en vue de location à usage d’habitation ne contribuent pas à la création de nouveaux locaux d’habitation et leur montant constitue donc des charges déductibles.

Dans le cas jugé en 1997, l’immeuble datant de 1860 et conçu pour l’habitation avait conservé cet usage pendant un siècle, puis il avait été loué à usage de bureaux pendant vingt ans avant de retrouver son usage primitif. Les travaux constituaient une charge déductible. Le Conseil d’Etat a jugé dans le même sens à propos d’un couvent converti (si l’on peut dire) en appartements (CE 5 mars 2012, Harang, n° 323658).

La cassation était donc certaine. Statuant comme Cour de renvoi, la Cour de Bordeaux va éventuellement devoir maintenant déterminer si, pour l’accueil des personnes en difficulté, des travaux modifiant la conception, l’aménagement ou les équipements de la maison de maître avaient été réalisés. Il ne semble toutefois pas que l’argument ait été soulevé par l’administration.

Notons pour conclure que cette jurisprudence bienfaisante ne nous semble pas réversible à un contribuable porteur d’un projet inverse consistant alors à transformer des appartements en école. Il s’agirait en effet alors d’un changement d’affectation et non d’un retour à un usage antérieur et la jurisprudence assimilant des changements d’affectation à des reconstructions s’appliquerait dans toute sa rigueur.

Sauf, bien sûr, si les appartements étaient eux-mêmes déjà le produit de la transformation d’une école…

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