(Cass., civ. 1ère, 31 mars 2021, pourvoi n° 19-25.903)

Décidément les avantages matrimoniaux n’en finissent pas de susciter des questions juridiques tranchées au plus haut niveau par nos Cours suprêmes. Après la décision du Conseil constitutionnel que nous avions commentée sur ce blog (https://blog.bornhauser-avocats.fr/2021/04/avantages-matrimoniaux-et-application-de-la-loi-dans-le-temps-quel-conseil-donner-et-quand-le-donner-cons-constit-29-janvier-2021-n-2020-880-qpc/) relative à l’application dans le temps de la loi sur la réforme du divorce de 2004 et son impact sur les avantages matrimoniaux, la Cour de cassation se prononce, de nouveau certes, sur la qualification même des avantages matrimoniaux dans un régime de participation aux acquêts. On renverra donc à notre précédente chronique pour la définition des avantages matrimoniaux, précisant qu’il s’agit seulement d’un mouvement de valeur entre les patrimoines des époux et qu’il est peu réglementé. 

Dans notre affaire, des époux s’étaient mariés sous le régime de la participation aux acquêts. Ce régime matrimonial, instauré par la loi du 13 juillet 1965 et modifié par celle du 23 décembre 1985 (C. civ. Art. 1569 à 1581), fonctionne, pendant la durée du régime, comme une séparation des biens pure et simple. Les époux restent propriétaires et gestionnaires de leurs biens personnels et tenus des dettes qu’ils ont souscrites. A la dissolution, l’aspect communautaire du régime refait surface et l’époux qui s’est le plus enrichi pendant le fonctionnement du régime doit faire participer l’autre : intervient dès lors le calcul de la créance de participation. Cette participation n’atteint que les bénéfices et ne concerne pas les dettes. Elitiste, mais clair sur le papier, ce régime suscite peu d’engouement de la pratique (moins de 10% à ce jour) en raison, peut-être, des prétendues difficultés liquidatives et aussi de la nécessité, pour les conjoints, de tenir une comptabilité scrupuleuse tout au long de son fonctionnement afin de chiffrer au plus juste la créance de participation si besoin. L’accord entre la France et l’Allemagne du 4 février 2010, entré en vigueur le 10 mai 2013, instaurant un régime matrimonial optionnel de la participation aux acquêts franco-allemand, n’a malheureusement pas modifié de manière substantielle la donne. 

Revenons donc aux faits ayant donné lieu à cette décision de la Cour de cassation : comme souvent dans ce type de régime, une clause du contrat de mariage stipulait l’exclusion des biens professionnels du calcul de la créance de participation en cas de dissolution du régime matrimonial, sauf si la dissolution résultait du décès de l’un des époux. Après le divorce et en raison de désaccords sur la liquidation, l’ex-épouse assigna en partage son ancien conjoint et demanda à ce que ladite clause soit qualifiée comme un avantage matrimonial, révoqué de plein droit en raison du divorce. 

La Cour de cassation cassa l’arrêt de la Cour d’appel de Rennes qui lui avait donné tort en rappelant que les profits que retire un époux, marié sous le régime de la participation aux acquêts, d’une clause aménageant le dispositif légal de calcul de la créance de participation est un avantage matrimonial, révoqué de plein droit en cas de divorce, en application de l’article 265 du Code civil, sauf volonté contraire exprimée par celui qui l’a consenti au moment du divorce (et non au moment de la conclusion du contrat de mariage). 

Cette décision appelle de notre part les observations suivantes.

  • Il est très fréquent dans le régime de la participation aux acquêts que soit stipulée une clause d’exclusion des biens professionnels lors de la dissolution du régime. L’utilité de cette stipulation est d’éviter que l’époux débiteur de la créance de participation, constituée principalement par le patrimoine professionnel de cet époux, ne soit obligé de vendre ses actifs professionnels pour régler cette créance. Mais on peut se demander si cette clause, créée sans doute avec les meilleures intentions du monde par la pratique, n’est pas en réalité profondément injuste pour l’époux créancier de la créance de participation. Si on exclut de la créance de participation les biens professionnels de l’époux débiteur, notamment lorsqu’ils en constituent parfois l’unique actif, alors cette créance diminue drastiquement. Et dès lors, l’époux qui s’est enrichi, certes grâce à son travail, conservera cet enrichissement pour lui seul, dénaturant le régime matrimonial adopté qui devient, rappelons-le, communautaire lors de sa dissolution. Inversement, l’époux créancier en raison de cette clause peut se retrouver débiteur au titre de la créance de participation. Une neutralisation de la clause semble donc bienvenue mais elle est source d’une grande insécurité juridique pour les époux lorsqu’ils ont pris la peine d’aménager leur régime. En outre, cette clause est souvent stipulée en prévision des difficultés résultant d’un éventuel divorce. La priver d’effet dans cette hypothèse est donc incohérent. Cela revient à dire que les aménagements du régime matrimonial, comme la clause d’exclusion des biens professionnels, ne sont efficaces qu’en cas de dissolution du régime par décès ou par changement de régime matrimonial mais pas en cas de divorce. 
  • La présente décision n’est cependant pas nouvelle (C. cass., civ. 1ère, 18 déc. 2019, pourvoi n° 18-26337, F+B+I). Pour pallier cette insécurité juridique, la pratique a donc imaginé d’autres clauses, comme la clause de plafonnement de la créance de participation, aux termes de laquelle les époux cantonnent le montant des patrimoines originaires et finaux à une certaine somme (ou à un certain pourcentage) et aux seuls biens non-professionnels de l’époux débiteur. D’autres clauses sont aussi envisageables, comme la clause de liquidation alternative ou encore la clause de participation inégale. 
  • Reste le dernier aspect de cette décision, qui n’est pas le moindre : pour la Haute juridiction, il est possible de stipuler au moment du divorce le caractère irrévocable de la clause d’exclusion des biens professionnels de la créance de participation. Cela signifie qu’il est possible de déroger à l’article 265 al. 2 du code civil, qui n’est donc pas d’ordre public. La solution rendue par la Cour de cassation s’inscrit donc dans un débat plus large relatif au caractère d’ordre public ou non de l’article 265 du code civil. On sait en effet que l’alinéa 1er de l’article 265, aux termes duquel… « Le divorce est sans incidence sur les avantages matrimoniaux. Seuls sont révoqués de plein droit les avantages matrimoniaux qui prennent effet au cours du mariage et sur les donations quelle que soit leur forme » est d’ordre public. Mais tel n’est pas le cas du second aliéna selon lequel… « Le divorce emporte révocation de plein droit des avantages matrimoniaux qui ne prennent effet qu’à la dissolution du régime matrimonial ou au décès d’un des époux et des dispositions à cause de mort accordées par un époux par contrat de mariage ou pendant l’Union… ». Cette règle étant supplétive de volonté, la Cour de cassation entend ainsi favoriser la liberté contractuelle des époux et, partant, la créativité de leurs conseils.

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