PLF 2024 : le fisc n’aime pas le quasi-usufruit
Le débat budgétaire en cours de discussion devant le Parlement, même s’il se conclura très probablement par l’adoption du Projet de Loi de Finances (PLF) grâce à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, reste toutefois particulièrement riche, avec l’arrivée en cours de débat d’un nombre toujours plus important d’amendements.
C’est ainsi que le 24 novembre 2023, le Sénat a adopté, avec l’avis favorable du Gouvernement, un amendement n° I-1868 rect. bis qui interdit la déduction au passif de la succession de la dette du nu-propriétaire lorsque celle-ci procède de la donation d’une somme d’argent avec réserve d’un quasi-usufruit. Selon son exposé des motifs, ce texte « vise à renforcer la cohérence de la fiscalité applicable aux usufruits de sommes d’argent, afin de dissuader le recours à des opérations qui sont principalement motivées par un objectif d’optimisation fiscale ».
Le schéma visé porte uniquement sur les créations de quasi-usufruit à l’occasion de la donation d’une somme d’argent, dont la dette de restitution ne sera plus déductible de l’actif successoral taxable pour les successions ouvertes à compter du 1er janvier 2024. En revanche, les créances des nus-propriétaires à raison de quasi-usufruits constitués à l’occasion de la vente d’un bien démembré restent bien exclus de cette « mesure de cohérence », sous réserve qu’il soit justifié que ces dettes n’ont pas été contractées dans un objectif principalement fiscal. Restent également hors du champ les usufruits qui résultent de l’application des articles 757 ou 1094-1 du code civil (usufruit du conjoint survivant).
L’origine de cette mesure anti-abus est probablement à rechercher dans un récent avis du Comité de l’Abus de Droit Fiscal du 11 mai 2023 (aff. 2022-15), qui a considéré que la donation d’une somme d’argent avec réserve de quasi-usufruit n’était pas abusive à hauteur du capital que possédait effectivement le donateur, mais qu’elle le devenait pour la fraction l’excédant. En d’autres termes, si le donateur empruntait pour immédiatement transmettre la nue-propriété, alors la donation était abusive à due concurrence, mais s’il ne faisait que transmettre son patrimoine net, nul abus n’existait.
Le texte vise donc à « désinciter » les contribuables de recourir à ce type d’optimisation. En revanche, l’introduction d’une présomption – qui n’est heureusement pas irréfragable – d’application du texte aux quasi-usufruits portant sur le prix de vente d’un bien démembré prêterait presque à sourire. Pour pouvoir déduire la dette, le nouveau texte exige en effet du contribuable qu’il prouve que le quasi-usufruit n’a pas été créé « dans un objectif principalement fiscal ».
Or, la seule raison qui pousse les titulaires d’un droit démembré sur un bien à prévoir qu’en cas de cession, le prix sera attribué à l’usufruitier dans le cadre d’un quasi-usufruit, est la nécessité de faire coïncider le bénéficiaire du produit de la vente avec la fiscalité de la transaction. En effet, sil les parties ne conviennent rien, alors le prix est réparti entre chaque titulaire pour la valeur de son droit et chacun paye ses impôts. Mais si elles veulent maintenir le démembrement et donc conserver le bénéfice de l’effort consenti lors de la donation, à savoir l’appropriation gratuite de l’usufruit à son terme par le nu-propriétaire conformément à l’article 1133 du CGI, alors elles n’ont le choix qu’entre l’attribution du prix de vente à l’usufruitier dans le cadre d’un quasi-usufruit ou le maintien du démembrement par remploi des fonds.
Le choix n’est toutefois pas neutre fiscalement : dans la première hypothèse, c’est le quasi-usufruitier qui sera redevable de l’impôt sur les plus-values alors que dans la seconde, ce sera le nu-propriétaire. Mais alors que le quasi-usufruitier disposera du prix de vente pour régler l’impôt, en cas de remploi le nu-propriétaire devra acquitter seul l’impôt sans toucher un kopek… Le choix du quasi-usufruit s’impose donc naturellement non pour des raisons fiscales, mais pour des motifs purement financiers parfaitement légitimes même s’ils procèdent des conséquences du traitement fiscal de la cession au regard de l’imposition des plus-values.
Sauf situation très caricaturale que nous n’imaginons même pas (et pourtant, nous avons une imagination particulièrement fertile !), l’invocation de l’argument exposé ci-dessus devrait suffire à apporter la preuve de l’absence de motif principalement fiscal de la constitution du quasi-usufruit.
En résumé, à part faire échec à une optimisation assez rustique que nous n’avions personnellement jamais rencontrée, cet amendement ne va pas révolutionner la matière…