(CE 25 octobre 2023, n° 470394).

On sait que parmi les nombreuses conditions d’application de l’abattement de 75 % en matière de droits de mutation à titre gratuit, l’article 787 B du CGI exige que l’un des signataires de l’engagement collectif de conservation (le Pacte « Dutreil ») exerce effectivement dans la société objet du Pacte une fonction de direction limitativement énumérée (gérant, membre du directoire, président du conseil de surveillance, président du conseil d’administration ou directeur général).

La même exigence d’exercice effectif de la fonction de direction était requise en matière d’ISF pour l’exonération des titres au titre de l’outil de travail et, par renvoi exprès aux règles de l’ISF, était également une condition pour obtenir le bénéfice de l’abattement de 85 % sur la plus-value et l’abattement fixe de 500.000 € en cas de départ du dirigeant à la retraite (article 150-0D ter du CGI).

C’est pour l’application de ce dernier texte que le Conseil d’Etat vient de se prononcer dans une affaire assez classique où le dirigeant d’une société hôtelière avait délégué à deux sociétés indépendantes plusieurs de ses prérogatives, à savoir les activités de recherche de clientèle, de gestion des paiements, d’entretien et de maintenance, de recrutement du personnel et le développement commercial.

Suivant les juges du fond, le Conseil d’Etat a estimé qu’une délégation aussi large de ses pouvoirs avait pour corollaire que le dirigeant n’exerçait pas effectivement son activité au sein de la société. A été en particulier jugé sans incidence les relations régulières qu’il entretenait avec ses prestataires extérieurs.

Si nous prenons acte de la position du juge administratif pour les impôts relevant de sa compétence, nous considérons que cette décision rajoute au texte légal une condition qu’il ne prévoit pas. En effet, si le législateur a entendu écarter du bénéfice du régime de faveur les dirigeants de paille, il n’a certainement pas voulu en exclure  ceux qui, connaissant leurs propres limites, ont recours à des prestataires extérieurs spécialisés. Pour nous, exercer effectivement ses fonctions de direction, c’est se mettre en situation d’en assumer les risques et responsabilités.

Dans le secteur hôtelier, le dirigeant répond des dommages subis par sa clientèle, en particulier le risque sanitaire. Il répond également des modalités d’exercice de son activité au regard de l’ordre public, comme l’emploi de travailleurs clandestins ou le proxénétisme hôtelier. Et ces risques sont tout à fait réels, ce qui justifie le recours à des prestataires extérieurs sérieux. En les choisissant et en surveillant leur travail, comme en choisissant de fare adhérer son hôtel à une chaîne ou à une plateforme qui va assurer la commercialisation de ses chambres, le dirigeant exerce effectivement son mandat social.

Fort heureusement, le régime « Dutreil » ne relève pas de la compétence du Conseil d’Etat mais de la Cour de Cassation, dont on peut espérer que sa chambre commerciale sera plus souple dans l’appréciation de cette règle. Car si l’exercice effectif des fonctions de direction d’un hôtel nécessite d’accueillir personnellement la clientèle, de lui servir le petit-déjeuner, de changer les draps et de nettoyer les chambres, on peut sérieusement se demander qui va pouvoir en bénéficier…