(CE (na) 11 janvier 2024, n° 474504)

On sait que depuis quelles années, les holdings passives résidentes d’un État même européen qui n’est pas celui de résidence de ses actionnaires sont dans le collimateur du fisc. Un projet de Directive dénommé ATAD 3 (Proposition COM(2021) 565 du 22 décembre 2021) vise même à les priver du bénéfice des conventions fiscales et libertés communautaires si elles ne remplissent pas certains critères assez stricts.

Certes, ce projet semble pour l’instant enterré faute d’accord unanime entre les Etats-membres, mais l’évolution de la jurisprudence tant de la CJUE que des juges nationaux rend son adoption inutile. En effet, à travers la notion de substance, la jurisprudence est en train de parvenir au même résultat, à savoir qu’une société holding passive dont les actionnaires ne résident pas dans le même État a de plus en plus de difficulté à apporter la preuve qu’elle n’a pas été créée pour des raisons principalement/exclusivement fiscales.

L’affaire jugée le 11 janvier dernier par le Conseil d’Etat en apporte une illustration d’autant plus éclatante que le pourvoi n’a même pas été admis. Cette affaire est d’ailleurs très riche sur la notion de régime fiscal privilégié pour l’application de l’article 123 bis du CGI mais ce n’est pas sur ces points qu’elle retient notre intérêt.

En l’espèce, le contribuable détenait une holding française qui était manifestement animatrice de son groupe puisqu’elle rendait des services à ses filiales et rémunérait pour cela son dirigeant, qui était son actionnaire unique.

Celui-ci s’est avisé qu’il y avait une divergence d’interprétation entre les juridictions françaises et luxembourgeoises quant au traitement des plus-values immobilières. Dans le but manifeste de titrer profit de l’exonération totale que cette situation permettait, il avait transféré le siège social de sa holding au Luxembourg, qui avait cessé son activité d’animation pour se borner à gérer passivement ses participations dans des sociétés immobilières. Participations qu’elle avait ensuite vendues sans payer un centime d’impôt grâce à cette fameuse divergence de jurisprudence, à laquelle seul un avenant à la convention fiscale permit de mettre un terme en 2014.

Pour l’imposer personnellement sur les plus-values réalisées par sa holding au Luxembourg, le fisc a dégainé l’article 123 bis, dont on sait qu’il contient une clause de sauvegarde lorsque la société est située dans un Etat-membre de l’UE (+ EEE), clause qui ne s’applique toutefois pas si la société s’inscrit dans un schéma artificiel car dépourvu de substance au sens de la jurisprudence européenne (Halifax : CJUE 21 février 2006, aff. C-255/02 et Caldbury Schweppes : CJUE 12 juin 2006, aff. C-196/04)

C’est donc sur cette notion de substance que le litige s’est en partie cristallisé. L’administration relevait que la société ne disposait d’aucun salarié ni local au Luxembourg, ce à quoi le contribuable objectait que pour exercer une activité de holding passive,  la société n’en avait nul besoin et que la notion de substance ne pouvait, pour une telle société, se réduire au décompte des m2, des tables et des chaises.

Sur le principe, le contribuable avait raison : pour une société holding, la substance est d’abord juridique, comme l’avait très bien rappelé le Rapporteur Public dans ses conclusions dans l’affaire Natixis (CE 11 mai 2015 n° 365564). L’absence de moyens matériels n’est donc pas pertinente, c’est la finalité de l’opération qui l’est. Et c’est sur la preuve du caractère non abusif de cette finalité qu’il succombe.

Le Conseil d’Etat relève en effet que la société avait changé d’activité, en passant du rôle de holding active, qui rendait des prestations à ses filiales, à celui de holding passive. Le transfert de son siège au Luxembourg n’offrait donc du point de vue de la société aucun avantage en réduisant ses recettes. Le contribuable n’invoquait pour sa part aucune raison spécifique justifiant l’intérêt de ce transfert de siège autre qu’un vague projet de lancement d’une activité de promotion immobilière au Luxembourg qui n’avait connu un début de réalisation que 5 ans plus tard.

Cette décision allège en pratique considérablement la tâche du fisc d’apporter la preuve de l’abus de droit lorsque la holding étrangère passive est détenue par un contribuable français. Il lui suffit en effet de constater l’existence d’un régime fiscal privilégié pour que ce soit au contribuable d’avoir à justifier des raisons non-fiscales pour lesquelles il a créé (ou transféré le siège social d’une société existante) sa holding à l’étranger.

Elle confirme une décision antérieure (CE 28 janvier 2022, n° 433965) rendue dans le contexte particulier de l’affaire Wendell/Editis que nous avions à l’époque analysée (https://blog.bornhauser-avocats.fr/2022/02/interposition-dune-societe-etrangere-pour-qui-sonne-le-glas/) comme une décision d’espèce sur ce point. Malheureusement, cette confirmation dans un contexte différent nous oblige à revoir notre position et à vivement déconseiller, pour des résidents français, l’utilisation de holdings passives étrangères pour y réaliser des opérations bénéficiant d’avantages fiscaux qui n’existent pas en France.

Cela signifie-t-il la fin des holdings étrangères pour les résidents français ? Ce serait aller un peu vite en besogne mais assurément, la prudence s’impose…