(TA Bordeaux, 17 octobre 2024, n° 2205287)

On se souvient qu’en début d’année, le tribunal administratif de Montpellier a jugé abusive une réduction de capital non motivée par des pertes là où le Comité de l’Abus de Droit Fiscal n’y voyait pas malice (https://blog.bornhauser-avocats.fr/2024/02/reduction-de-capital-non-motivee-par-des-pertes-le-tribunal-administratif-de-montpellier-prend-le-comite-de-labus-de-droit-fiscal-a-rebrousse-poil/).

Bis repetita avec le tribunal administratif de Bordeaux, qui a validé un redressement identique dans une affaire où le Comité avait donné à l’administration deux avis défavorables (un par associé concerné) que cette dernière avait toutefois décidé de ne pas suivre (aff. 2020-23 et 2020-24).

Les faits étaient assez classiques et ne se présentaient pas idéalement pour les contribuables, deux associés égalitaires qui avaient immédiatement fait suivre la réduction de capital par une augmentation d’égal montant. Toutefois, les disponibilités réparties provenaient de la vente d’une branche d’activité et le Comité avait été convaincu par la circonstance qu’après cette cession, la société était très surcapitalisée au regard des caractéristiques de l’activité qui subsistait.

Le tribunal de Bordeaux ne partage pas cet avis et valide l’abus au motif que… « le rachat de ses titres par la société A ayant conduit au final à l’opération de rachat par M. X de ces titres doit être regardée, même si elle ne présente pas un caractère de récurrence, comme constitutive d’un montage artificiel par lequel M. X et son associé ont nécessairement cherché le bénéfice d’une application littérale des textes à l’encontre des objectifs poursuivis par le législateur ».

On se demande bien quels sont les « objectifs poursuivis par le législateur » que l’opération aurait violé lorsqu’il a aligné la fiscalité des rachats de titres sur celle des cessions. A notre connaissance, il s’agissait de mettre fin à une discrimination sanctionnée par le Conseil Constitutionnel (20 juin 2014, n° 2014-404 QPC), rien de plus.

Lorsque l’on examine les arguments invoqués par l’administration, on constate que l’accent est surtout mis sur le fait qu’à l’issue des opérations, le capital avait retrouvé son niveau initial. Les autres considérations avancées sont peu convaincantes, en particulier celle relative à l’absence d’intérêt pour la société d’une telle opération, à laquelle on peut rétorquer qu’une distribution de dividendes d’un montant identique n’aurait pas eu pour elle plus d’intérêt.

En revanche et alors que c’est l’argument qui avait convaincu le Comité, le fait que la société se trouvait surcapitalisée du fait de la cession d’une branche d’activité ne trouve aucun écho auprès des juges. Or, cet argument est à notre sens cardinal. Lui seul justifie qu’en présence d’une plus-value réalisée par la société, les associés pouvaient légitimement l’appréhender à leur tour dans le cadre d’une plus-value sur leurs titres et non par la voie d’une distribution de dividendes.

Cette décision illustre hélas une certaine dérive – voire une dérive certaine – des juges du fond, qui semblent perdre de vue le droit constitutionnellement garanti pour les contribuables de choisir la voie la moins imposée lorsque le but de l’opération est légitime. Et le droit pour un associé d’appréhender sous la forme d’une plus-value la plus-value exceptionnelle réalisée par sa société n’est-il pas intrinsèquement légitime ?

Force est de constater qu’aujourd’hui, c’est le Comité de l’Abus de Droit Fiscal qui garde précieusement les rouleaux de la Loi. Il faut espérer que le Conseil d’Etat, lorsqu’il sera saisi de ces affaires, remette l’église au milieu du village, faute de quoi le droit de choisir la voie la moins imposée ne sera plus qu’une incantation vide de sens.

Pour terminer sur une touche plus optimiste, l’autre associé victime du même redressement avec exactement les mêmes arguments vient de passer devant le tribunal administratif de Montreuil et notre confrère Karine Binisti (qui défend les deux dossiers) nous a informé que le Rapporteur Public avait conclu au dégrèvement des impositions. S’il est suivi, on pourra légitimement se demander si ce ne serait pas la notion d’abus de droit elle-même qui aurait donné aux magistrats du Sud de la Loire un petit « coup de chaud ». Peut-être un effet du réchauffement climatique ?