(TJ Paris, 23 septembre 2024, n° 19/08754, 19/08757, 19/08768, 19/08772, 19/08775, 19/08776 et 19/08779)

On sait qu’en cas de transmission de la seule nue-propriété des titres dans le cadre du régime « Dutreil », l’article 787 B du CGI impose que les statuts limitent expressément le droit de vote de l’usufruitier à la seule affectation du bénéfice.

Une famille ayant bénéficié du régime « Dutreil » sur les titres d’une société française a ensuite transféré le siège social de la société au Luxembourg. Lors de la rédaction des nouveaux statuts, la clause limitant les pouvoirs de l’usufruitier a été omise et les bénéficiaires de la donation se sont vus remettre en cause l’abattement de 75 % dont ils avaient bénéficié par le fisc.

Pour faire obstacle au redressement, ils soutenaient notamment que le droit luxembourgeois prévoyait déjà cette restriction et qu’il était donc superfétatoire de la mentionner dans les statuts.

Le tribunal judiciaire de Paris a balayé l’argument au motif que la limitation statutaire était prévue par la loi.

Pourtant, la rédaction des textes français et luxembourgeois (respectivement les articles 1844 du code civil français et 1853 bis du code civil luxembourgeois, tous deux dérivés du Code Napoléon) est différente. Si les deux textes attribuent, dans le silence des statuts, le droit de vote au nu-propriétaire sauf pour l’affectation des bénéfices, le droit français permet une exception rédigée de la manière suivante : « Toutefois, pour toutes les autres décisions, le nu-propriétaire et l’usufruitier peuvent convenir que le droit de vote appartient à l’usufruitier ».

Cette clause signifie qu’à tout moment et pour toute décision, les titulaires de droits démembrés peuvent déroger aux règles statutaires. Pour garantir que la transmission du pouvoir décisionnaire soit effectivement consentie au nu-propriétaire, il est donc nécessaire d’exiger que les statuts le prévoit expressément.

En revanche, rien de tel n’existe dans le droit luxembourgeois : si les statuts n’ont rien prévu, seul le nu-propriétaire dispose du droit de vote sauf pour l’affectation des bénéfices et ce dernier ne peut pas s’entendre avec l’usufruitier pour y déroger ponctuellement.

En exigeant que la clause limitant les pouvoirs de l’usufruitier soit expressément incluse dans les statuts au motif que la lettre de l’article 787 B l’exige, le tribunal judiciaire est donc allé au delà de ce qui était nécessaire pour garantir l’application effective de la règle instituée par le législateur.

On espère donc que la Cour d’Appel de Paris fasse preuve de bon sens en rappelant aux premiers juges que si ce qui va sans dire va mieux en le disant, le dire n’est pas pour autant nécessaire lorsque ça va sans dire !