(CE 5 février 2025, n° 476399)

On se souvient que la question de la rétroactivité de l’exit tax est venue devant les 9ème et 10ème chambres du Conseil d’Etat et que le rapporteur public Bastien Lignereux a proposé au Conseil de casser l’arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Paris ayant refusé d’appliquer les principes européens de sécurité et de confiance légitime au motif que l’exit tax ne relevait pas du droit européen.

Par un raisonnement qui suit en tout point celui de son rapporteur public, le Conseil d’Etat vient de nous donner gain de cause : le contribuable étant parti avant la publication du projet de loi de finances rectificative pour 2011, l’entrée en vigueur de l’exit tax ne pouvait rétroagir au 3 mars 2011 et le concerner.

Le point intéressant de cette décision réside dans l’étendue de la rétroactivité admissible compte tenu du droit européen. Le Conseil d’Etat la fixe non à l’entrée en vigueur de la loi de finances rectificative pour 2011, soit au 31 juillet 2011, mais au 11 mai 2011, c’est-à-dire à la date de la présentation du projet de loi au conseil des ministres.

Toutefois, il n’est nullement évident que cette solution soit elle-même conforme au droit européen, en particulier à son principe de légalité. Et nous retrouvons ici la controverse qui a divisé le Conseil d’Etat sur les conséquences de la contrariété de l’article 244 bis B du CGI avec le droit européen : Faut-il réputer la loi contraire au droit européen comme inexistante et dégrever le contribuable de toute imposition, comme l’a initialement jugé le Conseil d’Etat le 14 octobre 2020 (n° 421524, Sté AVM International) ? Ou rétablir l’imposition dans la limite prévue par le droit interne interprété de manière conforme au droit européen, qui est la position finalement prise par notre juge suprême (CE 21 décembre 2022, n° 447568, Sté Runa Capital Fund I LP) ?

Au soutien de la position initialement prise par le Conseil d’Etat, on constate que la CJUE a consacré le principe de légalité en tant que principe général du droit de l’Union Européenne dans plusieurs décisions : un arrêt du 8 mai 2019 (2° ch., aff. C-566/17), mais surtout deux arrêts de grande chambre du 8 novembre 2022 (aff. C-885/19 P et C-898/19 P). Ce principe fait partie du droit primaire et est applicable aux situations régies par le droit de l’Union. Il est ainsi invocable lorsqu’une législation nationale est de nature à entraver les libertés de circulation.

La Cour considère que le principe de légalité communautaire doit faire l’objet d’une interprétation autonome, qui pourra diverger de celle retenue par les droits constitutionnels nationaux des différents Etats-membres. Et l’Avocat Général Sharpston de se référer à la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme (Conv. ESDH) à laquelle renvoie l’article 52 de la Charte Européenne des Droits Fondamentaux.

Et que trouvons-nous dans cette Conv. ESDH ? L’article 1er du Premier Protocole Additionnel, qui instaure le droit au respect des biens. Or, si l’impôt porte par nature atteinte aux biens des contribuables, le principe est immédiatement tempéré par la possibilité pour… « les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires (…) pour assurer le paiement des impôts ». Mais pour bénéficier de cette possibilité, les États doivent faire adopter par la loi les mesures nécessaires, à savoir la norme fiscale. Le principe de légalité au sens de l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Conv. ESDH implique bien que les éléments essentiels de l’impôt soient établis par la loi.

Si la date d’entrée en vigueur fixée par le droit interne, le 3 mars 2011, ne respecte pas les principes communautaires, alors la seule date possible d’application du régime sera, en application du principe de légalité du droit communautaire, la date d’entrée en vigueur de la loi elle-même (le 31 juillet 2011) et non, comme l’a jugé le Conseil d’Etat, la date de présentation du projet de texte au public (le 11 mai 2011).

Nous ignorons si d’autres contentieux sont actuellement pendants pour des contribuables ayant quitté la France entre le 11 mai et le 31 juillet 2011. Si c’est le cas, le principe de légalité du droit européen pourrait leur être de quelque secours, d’autant plus que le Conseil d’Etat sera prochainement saisi par nos soins d’un recours contre la décision de l’administration de maintenir la taxation d’une quote-part de frais et charges sur une plus-value imposée en application de l’article 244 bis B du CGI du fait de sa contrariété avec la Liberté Communautaire de circulation des capitaux, recours fondé sur ce principe de légalité.

Quant aux contribuables qui, comme notre client, ont quitté la France entre le 3 mars et le 11 mai 2011, il vont pouvoir obtenir le dégrèvement de leur exit tax correspondant à leurs plus-values en report d’imposition, puisque la part correspondant à leurs plus-values latentes leur a en principe été déjà été dégrevée (sauf cession ultérieure, mais une réclamation est toujours possible s’ils sont encore dans les délais). La partie de cette imposition correspondant aux prélèvements sociaux leur sera ainsi définitivement dégrevée. Pour la partie impôt sur le revenu, ils devront néanmoins acquitter l’impôt français s’ils cèdent ultérieurement leurs titres. Toutefois, le taux applicable est aujourd’hui à 12,8 % alors que leur exit tax a été liquidée au taux de 19 %, ce qui peut représenter une économie non négligeable.